mardi 26 mai 2015

Post-scriptum -- Georges Séféris





Duch




Mais ils ont des yeux tout blancs, sans cils,
Et des mains frêles comme des joncs.

Seigneur, pas avec eux. J'ai connu
Les voix des enfants à l'aube
Sur les pentes vertes qu'ils dévalaient
Aussi joyeux que des abeilles ou que
Des papillons multicolores.
Seigneur, pas avec eux, leur voix
Ne sort même pas de leurs lèvres,
Elle reste collée aux dents jaunes.

La mer t'appartient et le vent
Avec un astre suspendu au firmament ;
Seigneur, ils ne savent pas que nous sommes,
Seulement ce que nous pouvons être,
Soignant nos plaies avec des herbes
Recueillies sur les pentes vertes,
Ici, tout près, non là-bas.
Et que nous respirons comme nous le pouvons
Avec une prière timide chaque matin
Qui parvient du rivage, cheminant
Dans les failles de la mémoire.
Seigneur, pas avec eux. Que ta volonté soit faite autrement.

11 Septembre 1941





in Georges Séféris, Poèmes 1933-1955 suivi de Trois poèmes secrets, traduit par Yves Bonnefoy, Poésie / Gallimard