jeudi 29 juillet 2010

Du recyclage de l'insulte à la lumière de l'actualité


On ne pourrit pas assez tôt l’enfance, on n’assomme pas assez de pauvres, on ne se sert pas encore assez du visage paternel comme d’un crachoir ou d’un décrottoir. Mais le régime actuel va nous donner toutes ces choses qu’on entend déjà galoper vers nous.


Voila qui semble avoir été écrit aujourd'hui même mais cela vient de plus loin, de Léon Bloy dans son éphémère publication hebdomadaire, Le Pal (5 numéros en mars et avril 1885) ; l'actualité nous suggèrerait bien de changer le dédicataire de cette délicate envolée destinée à Jules Ferry :


Puis, à quoi bon s'exterminer l'intellect à découvrir une ignominieuse torture en harmonie avec la putridité spirituelle de cet immonde porcher préposé à la fécale nourriture des Arène et des Monteil ? (*)
L'impuissance humaine à punir éclate.
Les plus dégoûtantes matières seraient souillées par le pestilentiel contact de cette ambulante ordure ; (+)
Car cet homme ferait tourner par l'urinaire odeur de ses larmes, plus fétides que l'impureté sexuelle de la Prostituée du prophète, les fertilisantes mayonnaises de Pantin et de Bondy.



(in Le Pal
, fac-similé des numéros 1 à 4 publié par les éditions Obsidiane ; réédité (2002 ?) avec une préface de Patrick Kéchichian et le cinquième numéro
)



Les langues slaves ont une insulte fort courante, en polonais, "chuj" ("bite" ; ne pas traduire l'adjectif correspondant "chujowy" par "phallique" sous peine de ridicule ! Un bon gros "merdique" suffira !).
A Saint-Petersbourg, le groupe Voïna a joint le geste à la parole en réalisant cette "installation" en face des locaux du FSB :




Kosmiczny chuj




Certes, les ponts-levis sont rares Faubourg Saint-Honoré ou Place Beauvau mais, avec un peu d'imagination, il devrait quand même être possible de suivre cet exemple afin d'exprimer tout le respect qu'inspirent les derniers dérapages en date.


En réponse à ceux qui me font remarquer (parfois rudement) que le moyen n'est pas à la mesure de l'enjeu, je rappellerai seulement que tout ceci doit être replacé dans le registre de l'agitation spectaculaire, que les "mesures-phares" sont de toute façon non constitutionnelles et qu'il convient de les traiter pour ce qu'elles sont : de la poudre aux yeux pour détourner l'attention. Rien de mieux que les clowns pour ramener l'attention vers le centre de la piste ; c'est ce que Tchoknity a bien compris : son seau bleu aura plus fait pour déconsidérer les oligarques russes que tous les discours surjouant la préoccupation qu'on va entendre en boucle dans les jours qui viennent.





(*) Intermède pédant : Paul Arène, Edgar Monteil ?


Pour Monteil, communard et anti-clérical, la détestation de Bloy coule pour ainsi dire de source ; pour Arène, ami et peut-être nègre d'Alphonse Daudet, on peut se reporter à cet extrait du Désespéré pour constater qu'il ne s'agissait pas d'une fâcherie passagère. De façon transparente, Chaudesaigues, c'est Alphonse Daudet, Denisme, c'est Arène ; quant à Ryeupeyroux, c'est Léon Cladel etc.

On n'en finirait pas d'énumérer les détestations de Léon Bloy ; mieux vaut se reporter directement, entre autres (Belluaires et porchers vaut aussi le détour) au Désespéré !



Il vit d'abord, non loin de lui, le roi des rois, l'Agamemnon littéraire, l'archicélèbre, l'européen romancier, Gaston Chaudesaigues, recruteur d'argent inégalable et respecté. Seul, le gibbeux Ohnet lui dame le pion et ratisse plus d'argent encore. Mais l'auteur du Maître de Forges est un mastroquet heureux qui mélange l'eau crasseuse des bains publics à un semblant de vieille vinasse, pour le rafraîchissement des trois ou quatre millions de bourgeois centre gauche qui vont se soûler à son abreuvoir, et il n'est pas autrement considéré. Il est unanimement exclu du monde des lettres, ce dont il brait, parfois dans la solitude.

(... suivent des vertes, des pas mûres et même un court passage typique de l'antisémitisme de Bloy que je n'aurai de toute façon pas cité ; l'écriture-massacre de Léon Bloy est un plaisir de lecture jubilatoire mais cela n'empêche pas de s'en approcher avec une assez longue cuillère ...

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l'antisémitisme très paradoxal de Léon Bloy et lui-même s'y est longuement employé, dans
Le Salut par les Juifs en particulier :

L’histoire des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve, pour en élever le niveau. Ils sont immobiles à jamais et tout ce qu’on peut faire c’est de les franchir en bondissant avec plus ou moins de fracas, sans aucun espoir de les démolir.

On l’a suffisamment essayé, n’est-ce pas ? et l’expérience d’une soixantaine de générations est irrécusable. Des maîtres à qui rien ne résistait entreprirent de les effacer. Des multitudes inconsolables de l’Affront du Dieu vivant se ruèrent à leur tuerie. La Vigne symbolique du Testament de rédemption fut infatigablement sarclée de ces parasites vénéneux, et ce peuple disséminé dans vingt peuples, sous la tutelle sans merci de plusieurs milliers de princes chrétiens, accomplit, tout au long des temps, son destin de fer qui consistait simplement à ne pas mourir, à préserver toujours et partout, dans les rafales ou dans les cyclones, la poignée de boue merveilleuse dont il est parlé dans le Saint Livre et qu’il croit être le feu divin.

Cette nuque de désobéissants et de perfides, que Moïse trouvait si dure, a fatigué la fureur des hommes comme une enclume d’un métal puissant qui userait tous les marteaux. L’épée de la Chevalerie s’y est ébréchée et le sabre finement trempé du chef musulman s’y est rompu aussi bien que le bâton de la populace.

Il est donc bien démontré que rien n’est à faire, et, considérant ce que Dieu supporte, il convient, assurément, à des âmes religieuses de se demander une bonne fois, sans présomption ni rage imbécile et face à face avec les Ténèbres, si quelque mystère infiniment adorable ne se cache pas, après tout, sous les espèces de l’ignominie sans rivale du Peuple Orphelin condamné dans toutes les assises de l’Espérance, mais qui, peut-être, au jour marqué, ne sera pas trouvé sans pourvoi.)


Justement, il pérorait avec deux de ses compatriotes, aussi peu capables l'un que l'autre de l'intimider, Raoul Denisme et Léonidas Rieupeyroux. Le premier, raté fébrile et gluant chroniqueur, est généralement regardé comme un sous-Chaudesaigues, ce qui est une façon lucrative de n'être absolument rien. Mais le crédit du maître est si fort que le vomitif Denisme arrive tout de même à se faire digérer. Incapable d'écrire un livre, il dépose, un peu partout, les sécrétions de sa pensée, On redoute comme un espion ce croquant chauve et barbu, qui a dû, semble-t-il, payer de quelque superlative infamie son ruban rouge et dont la perfidie passe pour surprenante.

Quant à Léonidas Rieupeyroux, c'est un personnage vraiment divin, celui-là, capable de restituer le goût de la vie aux plus atrabilaires disciples de Schopenhauer. Il est grotesque comme on est poète, quand on se nomme Eschyle. Il a la Folie de la Croix du Grotesque. Méridional, autant qu'on peut l'être en enfer, doué d'un accent à faire venir le diable, il rissole, du matin au soir, dans une vanité capable d'incendier le fond d'un puits.




Il rissole, du matin au soir, dans une vanité capable d'incendier le fond d'un puits ... en voila une autre qui n'a plus à chercher son dédicataire contemporain !




(+) voila qui, sur un niveau un peu plus soutenu, anticipe opportunément un certain "Touche moi pas, tu me salis" ...

mardi 27 juillet 2010

Lichtzwang -- Paul Celan


Le premier recueil posthume de Paul Celan, composé en 1967 et paru en 1970, année de sa mort. Traduit chez Belin par Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach sous le titre Contrainte de lumière (1989).

Les poèmes de la troisième section sont parmi les plus lumineux de Celan :


WURFSCHEIBE, mit
Vorgesichten besternt,

wirf dich

aus dir hinaus.


DISQUE constellé de
prévisions

lance-toi

hors de toi-même.


KLOPF die
Lichtkeile weg :

das schwimmende Wort
hat des Dämmer.


FAIS SAUTER les
cales de lumière :

la parole flottante
est au crépuscule.


DIE ENTSPRUNGENEN
Graupapageien
lesen die Messe
in deinem Mund.

Du hörst regnen
und meinst, auch diesmal
sei's Gott.


EVADES
les perroquets gris
disent la messe
dans ta bouche.

Tu entends qu'il pleut
et tu crois que, cette fois encore,
c'est Dieu.


IN DEN DUNKELSCHLÄGEN erfuhr ichs :

du lebst auf mich zu,dennoch,
im Steigrohr,
im
Steigrohr.


DANS LES COUPES SOMBRES, je l'ai appris :

tu vis à ma rencontre, néanmoins,
dans la colonne montante,
dans
la colonne montante.



Pour le titre, "Lichtzwang", les joueurs d'échecs auront levé l'ambiguïté par analogie avec Zugzwang, la situation où se trouve le joueur dont c'est le tour de jouer et qui préfèrerait passer son tour, tous les coups possibles provoquant un dommage. Ce n'est pas le coup (Zug) proprement dit qui est contraint (Zwang), c'est le joueur qui est contraint (par la règle du jeu) à jouer un coup. En suivant cette analogie, "Lichtzwang", c'est plutôt "Contraint à la lumière" ; "débusqué", pour ainsi dire.

Ce néologisme apparaît dans ce poème de la première section :


WIR LAGEN
schon tief in der Machia, als du
endlich herankrochst.
Doch konnten wir nicht
hinüberdunkeln zu dir :
er herrschte
Lichtzwang.

NOUS GISIONS
déjà au plus profond du maquis quand tu
t'es approché en rampant.
Mais nous ne pouvions pas
ténébrer vers toi :
il régnait
la contrainte de lumière.




C'est dans ce recueil que se trouve l'énigmatique poème Todtnauberg.



dimanche 25 juillet 2010

Le système financier dans la trappe de liquidité keynésienne, par Pierre Sarton du Jonchay (sur le blog de Paul Jorion)


Si vous ne l'avez pas déjà lu ... très bien et très bien écrit !

(une fois n'est pas coutume, cliquez sur le titre)


Second billet, dans la même veine.

samedi 24 juillet 2010

Back to the USSR ?



"Obrazy miasta"
Rzeszów


Ce matin, regardant par la vitre en attendant un ami dans un café de la zone HLM dont les peintures commencent à perdre leur pimpant, j'ai cru tomber dans une faille spatio-temporelle. Etait-ce le ciel trop bas, la lumière trop sale ? Je ne pouvais pas m'y tromper : cette grisaille informe et vaguement collante, ce désœuvrement accepté, cette atrophie de l'espérance, si sévère qu'elle n'en est même plus douloureuse, cette lenteur des corps qui semblent ne pas savoir pourquoi ils vont là où leurs pas les portent maladroitement, tout cela sous les fiers slogans en rouge et or d'une chaine de restauration rapide et le flot de discours dégoulinant des informations télévisées, tout cela, jusqu'au regard encore confiant des enfants les plus jeunes réclamant aux adultes d'insuffler un minimum de sens à ce qui les environne, cette soumission hébétée et vaguement craintive à un ordre étranger, ponctuée de rodomontades d'ivrogne, tout cela ne pouvait que me ramener au pied des barres de Katowice ou de Rzeszów
(excellent blog-photo), il y a une grosse trentaine d'années.





Il ne faut pas abuser de Patočka !


Et pourtant, pour désagréable que ce soit ce repliement spatio-temporel, il me rappelle que c'est forcément au faîte de leur puissance que s'amorce le déclin des empires. Le "bloc" de l'Est (fallait-il être aveugle pour voir un bloc dans cet enchevêtrement de nations !) n'a pas survécu longtemps à la mise à vif de ses contradictions internes, l'une d'entre elles étant que le contrat tacite "ils font semblant de nous payer et nous faisons semblant de travailler" cachait un non-dit sur une version locale de l'égalité des chances : l'accès à la nomenklatura devait rester une possibilité pour qui accepterait de se plier aux règles. La fermeture sur elle-même de cette nomenklatura a rompu ce contrat tacite et fait apparaître le discours du "eux et nous".



Hadlichstraße Berlin-Pankow


Au passage, qu'est donc devenu le sens chromatique si aiguisé de ceux qui savaient si bien dénoncer hautement la crasseuse grisaille de la DDR (pour une raison qui m'échappe, la référence semblait toujours être la DDR ! Proximité géographique, héroïsme de traine-pantoufle avec frisson de check-point à la clé, exotisme de Pankow ou tout simplement décalage culturel du catholique en pays protestant ? Mystère ... ) ? Il pourrait trouver à s'exercer utilement dans un exotisme de proximité !



Ici et maintenant, le mythe du marché régulateur commence à craquer et à laisser entrevoir la mécanique prédatrice qu'il dissimule. La prise de conscience est lente mais se fait en profondeur sans laisser de signe trop visible à la surface des choses : la soumission règne, réelle et pas seulement apparente, mais en conclure que rien ne se passe, c'est oublier que c'est d'autre chose dont le système a besoin, d'une soumission volontaire, active pour ainsi dire, d'une soumission qui pour être efficace et permettre au système de se perpétuer doit prendre les formes de l'initiative, de l'action, de la lutte. Lentement, le poison de la passivité corrompt les mécaniques les mieux huilées des "démocraties réelles" et il n'y a pas générateur plus efficace de passivité que le discours du "eux et nous".

vendredi 23 juillet 2010

The third mind -- William Burroughs et Brion Gysin


Parce que Kathy Acker ramène forcément vers Burroughs, deux extraits d'un livre "manifeste" en collaboration avec Brion Gysin :










Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.



William S. Burroughs and Brion Gysin, The Third Mind, Seaver Books 1978

lundi 19 juillet 2010

Feardrop n°15 : Saiwala, enquête sur l'esthétique musicale du vent -- Denis Boyer


Après un n°14 entièrement consacré à souffler sur les braises de Pornography, album-limite de la première époque de The Cure, Feardrop revient et se consacre entièrement à un territoire complètement différent, celui de musiques électroniques / ambiantes / expérimentales marquées par le souffle. Un terrain familier à ceux qui suivent Feardrop et que feu le festival Les Observatoires avaient souvent permis de visiter.

Les différentes contributions de ce numéro usent de points de vue très différents pour mettre en relief des perspectives convergentes et cerner ce vaste domaine : vue panoramique, "en paysage", d'un vaste échantillon des productions, coupe transversale à travers quelques représentants aussi typiques que dissemblables, perspective historique qui, suivant le fil de la harpe éolienne, mène tout droit au romantisme d'Iéna, témoignages de quelques acteurs remarquables de ces contrées, tout y passe, dans une impression de grande cohérence !

C'est un plaisir de lire Denis Boyer et ses contributeurs développer largement ce qui ne trouvait souvent sa place qu'esquissé au détour d'une critique de disque.



Les poèmes de Gennadi Aygi donnés plus bas me sont revenus en mémoire à l'occasion de cette lecture.

Essais hérétiques sur la philosophie de l'histoire -- Jan Patočka (1907-1977)


Pas de chance pour Jan Patočka ! En dehors du cercle plutôt étroit des phénoménologues, on ne peut qu'être surpris par la méconnaissance (quand le niveau ne se situe pas au niveau de l'ignorance la plus rigoureuse) de sa pensée : on retient les circonstances de sa mort et on l'amalgame sans plus de forme de procès à une fort indéfinie "pensée des droits de l'homme" quand on n'en fait pas un grand frère de nos "nouveaux (?) philosophes (?)".

Curieux aveuglement devant une pensée profondément sombre, quasi-funèbre, qui récuse explicitement, et avec la même vigueur, les deux systèmes qui se partageaient l'Europe. La perspective sur la technique, pour être sensiblement différente de celle de Heidegger, n'en souligne que davantage l'immensité de la tâche à accomplir, avec des moyens apparemment dérisoires : pas de détournement quasi-contemplatif devant les irisations de l'être chez Patočka :





Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.



Curieusement, en dépit de tout ce qui les sépare, c'est à Castoriadis que Patočka m'a toujours fait penser : la fin du "sens donné" (la sortie de la pré-histoire, de cette "captivité dans l'amitié des Dieux"), c'est la fin de l'hétéronomie et tous deux en trouvent l'origine dans l'invention de la polis grecque ; le sens comme "processus", comme construction permanente me semble répondre à l'institution imaginaire des sociétés.
Plus encore, bien que venant d'horizons si différents (Platon / Aristote, phénoménologie / psychanalyse, université / militantisme), ils me semblent converger vers une attitude commune, du moins quand on la considère au niveau individuel : la rigueur éthique, le "soin de l'âme" ou l'éducation.
Après, quand le champ s'élargit, les différences reprennent leurs droits et là où Patočka mise sur la "cité parallèle" des "ébranlés", sorte d'élite "distribuée" appelée à jouer le rôle dévolu à son roi-philosophe par Platon, c'est à l'éducation des masses et à l'espoir de voir se clore enfin la longue parenthèse d' "hallucination collective" que s'en remet Castoriadis. Avec, pour les deux, le sentiment dominant que tout cela file tout de même un mauvais coton ...





Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.




Je ne suis évidemment pas le seul à avoir constaté cette convergence (il suffisait de taper "Patočka Castoriadis" chez Google ...) ; comme c'est nettement mieux écrit que ce que j'ai commis ci-dessus, allez donc lire
ici ce qu'en pense Lakis Proguidis (directeur de la revue L'Atelier du roman).


Jan Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l'histoire, traduit par Erika Abrams, préface de Paul Ricœur (ici, un article de Ricoeur sur Patočka et , l'article qu'il donna au Monde le jour de son enterrement), postface de Roman Jakobson, Verdier 1999

Shudder of a Daisy -- Gennady Aygi (Геннадий АЙГИ) (1934-2006)


little cloud! —


would once the moment
(invisibility-visibility)
of my death thus be shaken —

(what then
shall I choose
more dear)

wind — jewel-like — fleeting! —

as in flight
awakened in me — first of all:

freshness! —

of absence of memory



(in Gennady Aygi, Field – Russia, traduit par Peter France ; New Directions Publishing 2007)





это
(быть может)
ветер
клонит - такое легкое
(для смерти)
сердце


this
(maybe)
is the wind
bending - so light
(for death)
a heart


(in Gennady Aygi, Selected Poems 1954-1994
traduit par Peter France ; Angel Books 1997)


Ceci
(peut-être)
c'est le vent
qui incline - si légèrement
(à la mort)
un cœur



Quelques autres poèmes de Aygi, traduits en anglais, et .

In memoriam to identity -- Kathy Acker (1947-1997)


Near are we, God,
Near and available.

Already grasped, God,
Digging claws into each other, as if
Our bodies
Are your body, God.

Pray, God,
Pray to us.
We`re near.

Distorted by emotion we went out there;
We were out there just to bend
Our asses over abyss and ditch.

It was blood, it was what
You dropped in the gutter, God

It shone.

It flashed your picture in our eyes, God;
Eyes and mouth fall empty and vulnerable, God.

We 've gotten drunk, God.
On the blood and on your picture
Which lay in the blood as if the blood was piss.

Get drunk, God,
We 're coming.




Un petit aperçu de la rage de Kathy Acker ; s'il ne fallait recommander qu'un seul de ses livres, je choisirais In memoriam to identity (Grove Press, 1990), dont ce qui précède est extrait, rien que pour le télescopage contrôlé ou plutôt l'hybridation lente et progressive de Rimbaud et Faulkner. Ce livre fut, comme toujours avec Acker, remarqué pour ses passages "sex and violence" ; pourtant, sa construction relève aussi (et c'est là le prodige) de la micro-chirurgie la plus délicate. Apparemment non traduit en français ...


Dans Le matricule des anges, à propos de la traduction française de Blood and guts in high school (1978) (Sang et stupre au lycée, traduit par Claro - qui traduit aussi Pynchon - aux éditions Laurence Viallet, 2005) Camille Decisier ne ratait pas la piste qu'il faut suivre pour entendre Kathy Acker, au-delà des lassantes baudruches post-modernes, post-beat ou post-féministes qu'on gonfle à son sujet :

L'incandescence du propos tient à son analyse brillante, farouchement optimiste, du désir, si minable soit-il, vu comme une bombe à retardement, une machine bouleversante capable de faire sauter des secteurs sociaux tout entiers.
La flaque de violence et d'émotions écrabouillées à laquelle elle compare le matérialisme, et dans quoi surnagent, isolés, les excréments misérables de ce que nous appelons nos désirs, renvoie à des évidences dont la formulation exige du courage. « Chaque jour, un outil affûté, un puissant destructeur, est nécessaire pour chasser la morosité, la lobotomie, le bourdonnement, la croyance en l'être humain, la stagnation, les images et l'accumulation. Quand nous cesserons de croire en l'être humain, quand nous préférerons penser que nous sommes des arbres et des chiens, nous commencerons à être heureux. »


Six of Ox Is -- Lydia Tomkiw (1959-2007)


O, no iron, o Rio, no
red rum murder;
in moon: no omni
devil-lived
derision; no I sired
Otto,
a
drab bard,
Bob,
but no repaid diaper on tub.
O grab me, ala embargo
emit time,
Re-Wop me, empower
Eros' Sore
sinus and DNA sun is
fine, drags as garden if
sad as samara, ruff of fur, a ram; as sad as
Warsaw was raw.


(in The Best American Poetry, ed. David Lehman et John Ashbery, 1988)



Sur Lydia Tomkiw, qui fut aussi une moitié d'Algebra Suicide, et sur la scène poétique de Chicago des années 80, voir la lettre publiée par Sharon Mesmer sur son blog :

(...)

When I was in Chi in 2004 for AWP and staying at Karen Volkman's apartment in Ukrainian Village I walked over to look at the house where you lived with your parents when we first became friends in 1978. Standing outside in the cool March night, the first time I was back in Chi since my mother died, I really wanted to call you and tell you I was standing in front of your old house and it looked exactly the same (I could almost smell the gangrene stench from your downstairs neighbor's apartment) but I couldn't get a number from Phoenix info. And it made sense that the connection had been been broken. But not lost: it still existed somewhere because there was still palpable proof in the landscape — we had been there. Some things still stand, and can't be ruined. There's always a moment outside of time, when all the hurts and resentments go away and you're left looking at the physical proof that something beautiful and important really did exist once.


We both know it did.


lundi 5 juillet 2010

Co będzie -- Zbigniew Herbert


co będzie
kiedy ręce
odpadną od wierszy

gdy w innych górach
będę pił suchą wodę

powinno to być obojętne
ale nie jest

co stanie sie z wierszami
gdy odejdzie oddech
i odrzucona zostanie
łaska głosu

czy opuszcze stół
i zejdę w dolinę
gdzie huczy
nowy śmiech
pod ciemnym lasem

(in Napis 1969)




Images extraites de
Le Révélateur, Philippe Garrel (1968)
avec Laurent Terzieff, Bernadette Lafont et Stanislas Robiolles




Que sera-ce


Que sera-ce
quand les mains
tomberont des poèmes

quand à d'autres montagnes
je boirai l'eau sèche

ce devrait être indifférent
mais ce n'est pas

que deviendront les vers
quand la respiration s'en ira
et la merci du destin
sera rejetée

abandonnerai-je ma table
pour descendre dans la vallée
où retentit
un nouveau rire
sous la sombre forêt

(in Zbigniew Herbert, Redresse-toi et va ...
traduit et présenté par Jacques Burko
Orphée/La différence 1995)





Remarquable présentation de l'œuvre de Herbert par Jacques Burko dans ce volume !


Juste un léger désaccord à la quatrième strophe avec sa traduction de
i odrzucona zostanie / łaska głosu . J'y lis simplement, mot à mot, "et rejetée deviendra / la grâce de la voix", que je rendrais plutôt par et que s'éloignera / le don de la parole qui me paraît aussi mieux répondre au début de la strophe et au ton général du poème.

Pour "Co będzie", on pourrait aussi traduire par "Qu'adviendra-t-il".



dimanche 4 juillet 2010

The L & N don't stop here anymore -- Jean Ritchie



When I was a curly headed baby
My daddy sat me down upon his knee

He said, "Boy, you go to school and learn your letters

Don't you be a dirty miner like me";


I was born and raised in the mouth of the Hazard Hollow
(+)
Coal cars rambled past my door
Now they're standin' in a rusty row all empty

And the L & N (*)

Don't stop here anymore


I used to think my daddy was a black man
With script enough to buy the company store
Now he goes downtown with empty pockets

And his face is white as a February snow


I was born and raised in the mouth of the Hazard Hollow
Coal cars rambled past my door

Now they're standin' in a rusty row all empty

And the L & N
Don't stop here anymore

Last night I dreamed I went down to the coal yard

To draw my pay like I always did before
But them ol' kudzu vines (x) were comin' through the window

And the leaves and grass were growin' through the floor


I was born and raised in the mouth of the Hazard Hollow
Coal cars rambled past my door

Now they're standin' in a rusty row all empty

And the L & N

Don't stop here anymore




Un classique folk découvert par la reprise de Michelle Shocked (de mémoire, la reprise est sur l'album "Short, sharp and shocked" (1988 ?), même album que l'excellente chanson Anchorage).

Interprétation par son auteur, Jean Ritchie (sur Jean Ritchie, voir ici et ), par Johny Cash, par Kathy Mattea (excellent) ; aussi par Kieron Means (aux alentours, écoutez donc One more mile, une autre chanson de Jean Ritchie, reprise par Sara Grey ; sur la même page, ne ratez pas (entre autres !) la version de Down in Mississipi de JB Lenoir).




(*) L&N : la ligne de chemin de fer Louisville & Nashville qui desservait en particulier les mines de charbon du sud du Tennessee.
(+) Hazard Hollow : une mine de charbon à Hazard, Kentucky, tout simplement !
(x) kudzu vine : sorte de vigne vierge originaire du Japon qui fut utilisée comme couvre-sol pendant la Grande Dépression afin de lutter contre l'érosion des sols. Une peste végétale de premier ordre !


C630 1426 in front of the old coaling tower at Hazard, KY, Aug 1967
Ron Flanary


Construire les villes à la campagne ?


Après des polémiques en série sur le train de vie des ministres du gouvernement, les premières têtes sont tombées ce dimanche. Alain Joyandet et Christian Blanc, secrétaires d'Etat respectivement à la Coopération et au Grand Paris, ont tous deux présenté leur démission du gouvernement, a officiellement indiqué l'Elysée dans un communiqué peu après 19 heures.

Nicolas Sarkozy et François Fillon ont demandé aux intéressés de démissionner du gouvernement, a tenu à préciser plus tard dans la soirée le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel.

(...)

«Les fonctions d'Alain Joyandet seront exercées par Bernard Kouchner», ministre des Affaires étrangères, «et celles de Christian Blanc par Michel Mercier», ministre de l'Espace rural, précise l'Elysée.

(source)




Que la Coopération revienne vers les Affaires Étrangères, rien que de très normal, Jacques Foccart étant malheureusement retenu jusqu'au Jugement Dernier par d'autres obligations.

A moins de supposer que ce mini-remaniement ait été tiré à la courte paille, le rattachement du Grand Paris à l'Espace rural (nous avions donc un ministre de l'Espace rural ?) ne peut être interprété que comme un hommage à Alphonse Allais. Subtile tentative pour détendre l'atmosphère et mettre les rieurs de son côté ?




Et comme tout ceci m'avait (inexplicablement !) amené à rechercher le nom du cheval favori de Caligula (dont la légende veut que son maître ait voulu le nommer Consul ; au demeurant, étant donné la façon dont Caligula traitait les consuls, les affaires de l'État ne s'en seraient guère ressenties !), je tombe sur ceci qui remet en perspective, et dans la longue durée, les rengaines de notre Premier Ministre :

Il (Caligula) prenait grand plaisir à déclarer que les greniers de Rome étaient vides de blé (alors même qu'ils en étaient remplis) uniquement pour pouvoir assister au spectacle des émeutes qu'il avait ainsi créées.

(source)


Hein ? Le nom du cheval ? Incitatus ...