Pas de chance pour Jan Patočka ! En dehors du cercle plutôt étroit des phénoménologues, on ne peut qu'être surpris par la méconnaissance (quand le niveau ne se situe pas au niveau de l'ignorance la plus rigoureuse) de sa pensée : on retient les circonstances de sa mort et on l'amalgame sans plus de forme de procès à une fort indéfinie "pensée des droits de l'homme" quand on n'en fait pas un grand frère de nos "nouveaux (?) philosophes (?)".
Curieux aveuglement devant une pensée profondément sombre, quasi-funèbre, qui récuse explicitement, et avec la même vigueur, les deux systèmes qui se partageaient l'Europe. La perspective sur la technique, pour être sensiblement différente de celle de Heidegger, n'en souligne que davantage l'immensité de la tâche à accomplir, avec des moyens apparemment dérisoires : pas de détournement quasi-contemplatif devant les irisations de l'être chez Patočka :
Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.
Curieusement, en dépit de tout ce qui les sépare, c'est à Castoriadis que Patočka m'a toujours fait penser : la fin du "sens donné" (la sortie de la pré-histoire, de cette "captivité dans l'amitié des Dieux"), c'est la fin de l'hétéronomie et tous deux en trouvent l'origine dans l'invention de la polis grecque ; le sens comme "processus", comme construction permanente me semble répondre à l'institution imaginaire des sociétés.
Plus encore, bien que venant d'horizons si différents (Platon / Aristote, phénoménologie / psychanalyse, université / militantisme), ils me semblent converger vers une attitude commune, du moins quand on la considère au niveau individuel : la rigueur éthique, le "soin de l'âme" ou l'éducation.
Après, quand le champ s'élargit, les différences reprennent leurs droits et là où Patočka mise sur la "cité parallèle" des "ébranlés", sorte d'élite "distribuée" appelée à jouer le rôle dévolu à son roi-philosophe par Platon, c'est à l'éducation des masses et à l'espoir de voir se clore enfin la longue parenthèse d' "hallucination collective" que s'en remet Castoriadis. Avec, pour les deux, le sentiment dominant que tout cela file tout de même un mauvais coton ...
Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.
Je ne suis évidemment pas le seul à avoir constaté cette convergence (il suffisait de taper "Patočka Castoriadis" chez Google ...) ; comme c'est nettement mieux écrit que ce que j'ai commis ci-dessus, allez donc lire ici ce qu'en pense Lakis Proguidis (directeur de la revue L'Atelier du roman).
Jan Patočka, Essais hérétiques sur la philosophie de l'histoire, traduit par Erika Abrams, préface de Paul Ricœur (ici, un article de Ricoeur sur Patočka et là, l'article qu'il donna au Monde le jour de son enterrement), postface de Roman Jakobson, Verdier 1999