mardi 28 février 2012

Le Figaro est rigolo !


Verbatim :
 
Toutes ces propositions, Nicolas Sar­kozy aura l'occasion de les défendre sur France Inter jeudi matin. Son passage sur RTL a été jugé très positif: «La radio est un très bon moyen pour lui de s'adresser aux Français, ça leur permet d'entendre sa voix, sans l'image», ont estimé plusieurs de ses proches.

(source à 22:42)



Et pour le prochain meeting, prévoir un grand drap blanc (bleu ?) au rayon des accessoires !

"J'ai changé etc."


La bête -- Jean Follain


Assise en un corps de logis
où conduisent d'anciens chemins
vit une bête
qui n'attend rien du monde
des pièces communiquent
des portes se ferment
et des nuits s'approchent
dans le parfum d'un acacia.
Toutes les bêtes de son espèce
vivent en elle.
 
(in Exister)



Et le mystère s'amplifie de lectures en relectures, rebondissant entre Ted Hugues et Jean Follain ... "I am the last of my kind", "Toutes les bêtes de son espèce / vivent en elle." 

lundi 27 février 2012

Vision d'une sorcière araucane



Peuple Selk'nam (Ona) : danse du serpent



Cela m'est apparu au milieu de l'eau. Un petit homme sortit. C'était un étranger ; il monta au ciel.
Lui monté, un tigre descendit ; le tigre parla avec moi.
Je disais en parlant de toi : "Comment pourrais-je le rencontrer ?" Je t'ai rencontré aujourd'hui et je converserai avec toi.
Il faut que la mer sorte.
Je te dirai : "Ces étrangers, je les tuerai avec de l'eau, vous aurez à souffrir innocemment par eux ; ce sont les étrangers que je devrai tuer."
Les indigènes ne sont pas coupables, je tuerai tous les étrangers.
Il manque dix-huit jours pour que la mer sorte.
On a entendu le serpent kaikai.
Tu diras de tous les côtés : "On l'a entendu une fois, si on l'entend une seconde fois, la mer sortira."
Lorsque la mer doit sortir, le serpent kaikai hennit.
Il est sur le trentren (*).
Le serpent kaikai hennit fortement, il crie ; c'est pourquoi de toutes parts on l'entend.
Le trentren a quatre pattes.
Lorsque la mer sort, elle monte et s'unit alors au ciel.
Au bout de quatre jours, l'eau redescend, c'est fini, elle revient, l'eau.
Quand l'eau est revenue à l'eau, elle descend et il n'y a plus d'eau. lors, le trentren descend de nouveau, comme on dit.

Felix de Augusta
Lecturas araucanas 
Ed. San Francisco
Padre de las Casas, 1934

(*) Montagne mythique située dans la mer.




in Benjamin Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d'Amérique, Albin Michel

Il était une fois en Anatolie -- Nuri Bilge Ceylan


Photo de tournage (source)




Une longue boucle qui construit très lentement et très finement un retour à son point de départ en mettant en scène en un seul plan l'infime écart entre vérité et justice. Plus qu'une boucle, un ruban de Möbius qui visite chaque situation deux fois dans cet infime écart et se referme comme en apesanteur.

Si cela passe encore près de chez vous, n'hésitez pas !

dimanche 26 février 2012

Discours préliminaire de l'Encyclopédie des Nuisances (extrait)


Il nous faut cependant répondre à l'objection selon laquelle des formulations comme les nôtres seraient de quelque manière empreintes d'un catastrophisne complaisant , où se déguiserait en constatation affligée le désir de voir sortir de l'extrémité du mal la nécessité de son renversement. Certes chaque génération de révolutionnaires, depuis qu'existe le projet prolétarien d'une société sans classe, a voulu se persuader que la lutte qu'elle menait était décisive et que la société dominante avait enfin atteint le point où son effondrement devenait inéluctable ; ou du moins au-delà duquel les nécessités de son maintien l'obligeraient à faire à l'immense majorité des hommes de telles conditions d'existence qu'ils seraient en quelque sorte contraints à la conscience et acculés à la révolution. Et chaque fois, on a vu au contraire que les limites de l'insupportable pouvaient encore être reculées, avec pour seul résultat jusqu'ici une sophistication toujours plus poussée de la lâcheté et de la simulation {ndlc : j'aurais attendu stimulation mais c'est bien simulation que donne mon exemplaire} chez les honnêtes citoyens de l'ignominie.
Il ne saurait être question pour nous d'ironiser sur la part d'illusion qu'ont souvent entretenue sur leur propre action les révolutionnaires du passé : laissons cette commodité au genre de réalistes qui, quant à eux, trouvent plus directement leurs consolations et ce qu'ils appellent leurs plaisirs à l'intérieur de la bassesse présente, bien adaptée, il est vrai, à leurs minuscules appétits. Non seulement on préférera toujours avoir tort avec ceux qui croyaient être les derniers à endurer la mutilation de la vie, et ne pouvaient concevoir que se perpétue plus longtemps l'accumulation de la dépossession, plutôt que d'avoir raison avec leurs vainqueurs, ou les héritiers de leurs vainqueurs - mais surtout, les raisons les mieux fondées, parce que mes moins "scientifiques", de ces révoltés vaincus sont aujourd'hui les plus concrètes et les plus pressantes qui soient. Pour quiconque ne s'identifie pas envers et contre tout aux forces de l'inertie dévalant toujours plus vite la pente de l'horreur programmée, ces raisons sont aussi tangibles que le macabre projet de rendre irréversible le résultat du développement prolifique des marchandises, et, parodie sinistre du projet révolutionnaire d'un homme total, de suréquiper encore l'infirmité des individus, de les réduire définitivement à l'état de pantins convulsifs, agités par leurs innombrables prothèses marchandes, au rythme d'une machinerie télématique omniprésente. Et ces raisons vaincues continuent donc à juger l'ensemble du développement ultérieur, pour que nous puissions le condamner en toute connaissance de notre cause.
Ainsi la base subjective du désir révolutionnaire se trouve-t-elle dépouillée par le mouvement de l'histoire aliénée de toute apparence d'arbitraire : l'objectivité du monde encore existant est de part en part déterminée par ces aspirations qu'il lui faut, interminablement, écraser, et en même temps continuer à justifier en les écrasant. Ce qui en revanche a été cruellement démenti, malgré ou plutôt à cause d'une volonté d'objectivité désincarnée qui prétendait faire l'économie de l'affirmation du choix individuel, c'est l'assurance de parler au nom d'un avenir garanti, assurance qui se payait le plus souvent d'une identification unilatérale des possibilités de la liberté à un "développement des forces productives" conçu sur le triste modèle du progrès bourgeois. Encore faut-il dialectiser l'appréciation de ce qui se révèle aujourd'hui à nous comme une illusion : d'une part, l'idée selon laquelle le développement même des forces matérielles, dans le cadre de la société bourgeoise, facilitait leur réappropriation révolutionnaire et les rendait toujours plus adaptées à l'usage qu'en aurat une société libre, cette idée n'était pas une erreur de la théorie qu'il faudrait maintenant corriger, mais l'expression d'une possibilité historique effectivement présente qu'il fallait alors tenter de saisir ; expression malheureusement mystifiée dès lors que s'oubliait l'activité consciente qui devait imposer cette possibilité, contre toutes les autres. D'autre part, l'idée de la réappropriation réalisable, devenue ainsi idéologie dans l'abandon contemplatif au cours économique des choses, a elle-même joué un rôle dans le fait que les choses continuent leur cours autonome, et constitué au stade suivant un facteur contre-révolutionnaire décisif. Sans doute, l'assurance d'hériter du monde n'a-t-elle pas seulement été la base de l'idéologie bureaucratique, mais aussi, pour nombre de révolutionnaires, le ressort de leur fermeté et de leur courage, jusqu'à leur mort. Mais quant à nous, à tous ceux qui sont réellement décidés à précipiter la disparition du monde existant, disons simplement que notre sort est de ne pouvoir tirer notre fermeté et notre courage d'aucune assurance de cet ordre.
Le tournant historique devant lequel nous nous trouvons peut être défini en disant qu'aujourd'hui non seulement "tout développement d'une nouvelle force productive est en même temps une arme contre les ouvriers" (Marx) mais il est avant tout, et presque uniquement, une machine de guerre contre le projet révolutionnaire du prolétariat : ce n'est plus seulement que la sélection parmi toutes les inventions techniques applicables est faite en fonction des nécessités du maintien du pouvoir de classe, ni que leur organisation d'ensemble, la forme donnée à ces techniques, sont déterminées par l'impératif secret bureaucratique, pour perpétuer le monopole  de leur emploi, mais que ces fameuses "forces productives" sont maintenant mobilisées par les classes propriétaires et leurs États pour rendre irréversible l'expropriation de la vie et ravager le monde jusqu'à en faire quelque chose que personne ne puisse plus songer à ler disputer.
Nous ne rejetons donc pas ce qui existe et se décompose avec toujours plus de nocivité au nom d'un avenir que nous représenterions mieux que ses propriétaires officiels. Nous considérons au contraire que ceux-ci représentent excellemment l'avenir, tout l'avenir calculable à partir de l'abjection présente : ils ne représentent même plus que cela, et on peut le leur laisser. Face à cette entreprise de désolation planifiée, dont le programme explicite est de produire un monde indétournable, les révolutionnaires se trouvent dans cette situation nouvelle d'avoir à lutter pour le présent, pour y conserver ouvertes toutes les autres possibilités de changement - à commencer bien sûr par cette possibilité première que constituent les conditions minimales de la survie de l'espèce -, celles-là même que la société dominante cherche à bloquer en tentant de réduire irrévocablement l'histoire à la reproduction élargie du passé ; et l'avenir à la gestion des déchets du présent.
Certes le projet de produire un monde indétournable, interdisant pour l'éternité toute réappropriation révolutionnaire, un tel projet est absurde et suicidaire, puisque cela signifierait un monde strictement invivable, où se matérialiserait catastrophiquement le néant historique auquel les classes propriétaires se condamnent de bon cœur avec les prolétaires, pour que continue l'histoire économique des choses. Cependant la démonstration de cette absurdité qu'est la tentative de construire un monde où la réification absolue ne serait pas la mort, si on la laisse se poursuivre trop longtemps, risque fort d'être la dernière dont nous gratifie le capitalisme, mais pas de la manière désirée. Et personne n'aura plus alors l'occasion de voir là une contre-révolution finalement totale dont doit nécessairement sortir une révolution non moins totale, car ce ne sera plus dans son idéologie économique, mais dans les faits, que la bourgeoisie aura réussi à faire en sorte qu'il y ait eu de l'histoire et qu'il n'y en ait plus.





Marseille, 2010



(1984, réédité en 2009 et toujours disponible aux éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, 41 rue Mazarine, VIème, Paris ; un chèque, une enveloppe, un timbre et le tour est joué. Mais oui, mais oui, vous pouvez aussi cliquer chez Fnacazon, si vraiment vous ne pouvez pas vous retenir ; cela vous laissera quand même un vague arrière-goût désagréable à la lecture. Également lisible en ligne intégralement ici)

vendredi 24 février 2012

Dawni Mistrzowie -- Zbigniew Herbert


Dawni Mistrzowie
obywali się bez imion

ich sygnaturą były
białe palce Madonny

albo różowe wieże
di citta sul mare

a także sceny z życia
della Beata Umilita

roztapiali się
w sogno
miracolso
crocifissione

znajdowali schronienie
pod powieką aniołów
za pagórkami obłoków
w gęstej trawie raju

tonęli bez reszty
w złotych nieboskłonach
bez krzyku przerażenia
bez wołania o pamięć

powierzchnie ich obrazów
są gładkie jak lustro

nie są to lustra dla nas
są to lustra wybranych

wzywam was Starzy Mistrzowie
w ciężkich chwilach zwątpienia

sprawcie niech spadnie ze mnie
wężowa łuska pychy

niech pozostanę głuchy
na pokuszenie sławy

wzywam was Dawni Mistrzowie

Malarzu Deszczu Manny
Malarzu Drzew Haftowanych
Malarzu Nawiedzenia
Malarzu Świętej Krwi




Annonciation d'Aix (1443-1445)
Barthélemy d'Eyck (?)



Les Maîtres Anciens


Les Maîtres Anciens
se passaient de noms

les blancs doigts des madones
leur étaient signature

ou bien les roses donjons
della città sul mare

ou les scènes de la vie
della Beata Umiltà

ils se dissolvaient
dans sogno
miracolo
crocifissione

ils trouvaient refuge
sous la paupière des anges
dans les collines des nues
dans l'herbe drue du paradis

ils se noyaient sans retour
dans l'or des voûtes célestes
sans le moindre cri d'effroi
sans réclamer mémoire

la surface de leurs tableaux
est lisse comme un miroir

ce miroir n'est pas nôtre
c'est le miroir des élus

je vous appelle Maîtres Anciens
aux durs moments de doute

faites que je me dépouille
des écailles serpentines de la morgue

faites que je demeure sourd
aux tentations de la gloire

je vous appelle Maîtres Anciens

Maître de la Pluie de Manne
Maître des Arbres Brodés
Maître de la Visitation
Maître du Sang Sacré

in Zbigniew Herbert
Redresse-toi et va ...
traduit par jacques Burko
Orphée / La différence

Moi mistrzowie -- Adam Zagajewski


Moi mistrzowie nie są nieomylni.
To nie Goethe, który nie może
zasnąć tylko wtedy, gdy w oddali
płaczą wulkany, ani Horacy,
piszący w języku bogów
i ministrantów. Moi mistrzowie
pytają mnie o radę. W miękkich
płaszczach narzuconych pośpiesznie
na sny, o świcie, gdy chłodny
wiatr przesłuchuje ptaki, moi
mistrzowie mówią szeptem.
Słyszę jak drży ich głos.

in Oda do wielości
Paris, 1982/1983 ?
(Ode à la multitude)




My masters

My masters are not infallible.
They're neither Goethe,
who had a sleepless night
only when distant volcanoes moaned, nor Horace,
who wrote in the language of gods
and altar boys. My masters
seek my advice. In fleecy
overcoats hurriedly slipped on
over their dreams, at dawn, when
the cool wind interrogates the birds,
my masters talk in whispers.
I can hear their broken speech.

(excellente introduction
anglophone
à la poésie polonaise)


Mes maîtres

Mes maîtres ne sont pas infaillibles.
Ils ne sont ni Goethe
Que seule la plainte de volcans lointains
Pouvait empêcher de dormir, ni Horace
qui écrivait dans la langue des dieux
et des autels. Mes maîtres
me demandent conseil. Un imperméable
informe jeté à la hâte
sur leurs rêves, à l'aube,
quand le vent frais questionne les oiseaux,
mes maîtres parlent tout bas.
J'entends comme leur voix tremble.




1982, Goethe, Horace ... pour qui oublie la date, il y a sans doute beaucoup d'injustice à faire d'eux les parangons de la bonne conscience au sommeil de plomb ("Naturellement, nous ne ferons rien.") ou de la confortable collaboration (amnistiée ou non).

1982 ... l'année suivante, Zbigniew Herbert, un maître sans doute aux yeux de Zagajewski  né comme lui à Lwów mais qui lui rend une vingtaine d'années, faisait paraître, également à Paris, son Rapport d'une ville assiégée ; on y lisait un Maîtres anciens :

(...)
je vous appelle Maîtres Anciens
aux durs moments de doute

faites que je me dépouille
des écailles serpentines de la morgue

faites que je demeure sourd
aux tentations de la gloire

je vous appelle Maîtres Anciens
(...)

traduit par Jacques Burko


lundi 20 février 2012

To Scratch Your Heart : Early Recordings From Istanbul


Une merveille : rien à rajouter à la critique de Dusted ; Honest Jon's (tous les morceaux en écoute en ligne) a réalisé un travail parfait sur ces enregistrements datant d'entre 1910 et 1930.

(ok, 55€ quand même pour les vynils ... mais 8£ seulement pour les mp3)


Sentiment partagé à trouver de plus en plus souvent de véritables trésors phonographiques des années 70 dans les bacs "occasion" de certains bons disquaires ; comment se plaindre de trouver le même jour Raga Kaushik Kanada (une des gazillions de variantes du raga Malkauns (*)) de Krishnamurti Sridhar (sarod) (disque Auvidis) et Le luth afghan (Rag Bairami et Rag Poria Tanassori) de Essa Kassimi (rubab) (disque Arion) ... comment ne pas penser aussi que ces disques ne sont là que parce que ceux qui les ont écoutés ne sont plus.



(*) à propos de ce raga, essayez l'interprétation d'Imrat Khan (surbahar, sitar) chez Stil (1975 ; réédition en cd 1991) avec Kumar Bose (tabla).

Les métamorphoses de Tite-Live -- Zbigniew Herbert







Extrait de Zbigniew Herbert, Redresse-toi et va ..., choix de poèmes, traduction et présentation par Jacques Burko, Orphée La Différence (1995) :




Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.




Ce qu'Herbert et son père avaient appris, nous l'avons bêtement laissé filer dans l'oubli dans les années 80-90, nous retrouvant à ânonner frileusement en compagnie de ses grands-pères et arrière-grands-pères sans même en avoir conscience :

(...)
la révolte du populaire - res tam foeda - suscitait chez eux la répulsion
alors que les conquêtes leur paraissaient justes
elles signifiaient simplement la victoire du meilleur du plus fort
(...)


La Grèce ou l'Espagne sont nos confins lointains, lointains au sens de la dichotomie systémique intérieur/extérieur dont Marc Augé relève qu'elle donne maintenant son sens à l'opposition global/local, confins où se joue l'écroulement de l'empire ...
Si La Bohème est au bord de la mer, le Panshir peut bien se baigner dans la Méditerranée !

dimanche 19 février 2012

Vahé Godel (in translation only ...)



what's to be done
when memory sinks
and hope
flies away?

close your eyes
walk in front of yourself
on luminous waters

tame
the absence of birds



Un extrait d'une traduction d'un poème de Vahé Godel par Victor Pambuccian trouvée par hasard.



Allez tout lire, .

Je n'ai pas pu trouver la source "française" ... je veux dire "francophone" de ce poème ! Un petit défaut énervant de Two Lines On Line de souvent négliger de donner la référence d'origine. Énervant ...

samedi 18 février 2012

Storytelling ² !


Quand on pense que Christian Salmon s'était fendu de tout un bouquin ... 

Nicolas Sarkozy
et, d'un même élan, de faire des journalistes des (ses ?) "intercesseurs".


Une gaffe ? Non, bien sûr. Nous savons tous que l'illusionniste réussit d'autant mieux son tour qu'il ne cesse de proclamer "Évidemment, y'a un truc".

Une couche de plus à l'écran de fumée ; du storytelling puissance deux, en quelque sorte !
 

vendredi 17 février 2012

Les métamorphoses de Tite-Live -- Zbigniew Herbert (1924-1998)


Pax Sovietica (Pologne, 1982 environ)
(Sovietica, sûrement, mais pas seulement : 
si j'en étais capable, je superposerais trois "colombes d'assaut"
et j'appellerais cela Pax Troïkae ... 
sur fond bleu, évidemment, comme quoi les choses évoluent) 


Bon, la photocopieuse boude ... un complot sans doute, mais elle ne perd rien pour attendre !

En attendant, passez donc lire Herbert sur cet (excellent) site.

jeudi 16 février 2012

Occupy France





L'eau qui marche en vivant est dénuée de rires
les souterrains du lac ont envie de soleils
fuyant les chiourmes de cristal
au pied d'un tabernacle une ville
qui bouge qui bouge

Nadia Tuéni in L'âge d'écume (Seghers, 1965 ; Dar An-Nahar, 1986)
 

mardi 14 février 2012

Cebula -- Wisława Szymborska.



Co innego cebula.
Ona nie ma wnętrzności.
Jest sobą na wskroś cebula,
do stopnia cebuliczności.
Cebulasta na zewnątrz,
cebulowa do rdzenia,
mogłaby wejrzeć w siebie
cebula bez przerażenia.

W nas obczyzna i dzikość
ledwie skórą przykryta,
inferno w nas interny,
anatomia gwałtowna,
a w cebuli cebula,
nie pokrętne jelita.
Ona wielekroć naga,
do głębi itympodobna.

Byt niesprzeczny cebula,
udany cebula twór.
W jednej po prostu druga,
w większej mniejsza zawarta,
a w następnej kolejna,
czyli trzecia i czwarta.
Dośrodkowa fuga.
Echo złożone w chór.

Cebula, to ja rozumiem :
najnadobniejszy brzuch świata.
Sam się aureolami
na własną chwałę oplata.
W nas - tłuszcze, nerwy, żyły,
śluzy i sekretności.
I jest nam odmówiony
idiotyzm doskonałości.




Oignon
  
L’oignon c’est pas pareil.
Il n’a pas d’intestins.
L’oignon n’est que lui-même
foncièrement oignonien.
Oignonesque dehors,
oignoniste jusqu’au cœur
il peut se regarder,
notre oignon, sans frayeur.

Nous : étranges et sauvages
à peine de peau couverts,
enfer tout enfermé,
anatomie ardente,
et l’oignon n’est qu’oignon,
sans serpentins viscères.
Nudité multitude,
toute en et cætera.

Entité souveraine
et chef-d’œuvre fini.
L’un mène toujours à l’autre
le grand au plus petit,
celui-ci au prochain,
et puis à l’intérieur.
C’est une fugue concentrique
L’écho plié en chœur.

L’oignon, ça s’applaudit :
le plus beau ventre sur terre
s’enveloppant lui-même
d’auréoles altières.
En nous : nerfs, graisses et veines
mucus et sécrétions.
On nous a refusé
l’abrutie perfection.


traduit par Piotr Kamiński
in Wisława Szymborska
De la mort sans exagérer
Fayard, 1996









Histoire de pinailler, juste le premier vers de la dernière strophe : le littéral "L'oignon, ça je comprends", voire "L'oignon, j'comprends" (histoire de faire écho à l'excellent premier vers "L'oignon, c'est pas pareil") me suffirait largement.

Pour le titre aussi, "L'oignon" ou "Un oignon" serait plus logique ; s'ensuit la question de "un oignon" versus "l'oignon", tout au long du poème. Je préférerais "un oignon", un oignon en général et pas sous l'angle de la catégorie globalisante de "l'oignon" ; "un oignon en général" au sens de "tout oignon singulier".

Idem pour le derniers vers de la première strophe : je n'aime pas le "Notre oignon" ; en accord avec ce qui précède, je préférerais "Ça peut regarder en soi-même, / Un oignon, sans frayeur.".

Et puis il y a ce qui reste coincé de l'autre côté et ne veut pas passer : "cebula", cela devrait être "une oignon" pour compléter l'atmosphère du poème. Alors, "une ciboule" pour "un oignon" ? Un peu trop artificiel, tout de même, non ?
 


lundi 13 février 2012

Odkrycie -- Wisława Szymborska (1923-2012)


Wierzę w wielkie odkrycie.
Wierzę w człowieka, który dokona odkrycia
Wierzę w przestrach człowieka, który dokona odkrycia.

Wierzę wbladość jego twarzy,
w mdłości, w zimny pot na wardze.

Wierzę w spalene notatek,
w spalenie ich na popiół,
w spalenie co do jednej.

Wierzę w rozsypanie liczb,
w rozsypanie ich bez żalu.

Wierzę w pośpiech człowieka,
w dokładność jego ruchów,
w nieprzymuszoną wolę.


Wierzę w utłuczenie tablic,
w wylanie płynów,
w zgaszenie promienia.

Twierdzę, że to się uda
i że nie będzie za późno,
i rzecz rozegra się w nieobecności świadków.

Nikt się nie dowie, jestem tego pewna,
ani żona, ani ściana,
nawet ptak, bo nuż wyśpiewa.

Wierzę w nieprzyłożoną rękę,
wierzę w złamaną karierę,
wierzę w zaprzepaszczoną pracę wielu lat.
Wierzę w sekret zabrany do grobu.

Szybują mi te słowa ponad regułami.
Nie szukają oparcia w jakichkolwiek przykładach.
Moja wiara jest ślepa i bez podstaw.



Découverte

Je crois en une grande découverte.
Je crois en l'homme qui fera la découverte.
Je crois en l'effroi de l'homme qui fera la découverte.

Je crois en son visage livide,
en sa nausée, en la sueur sur sa lèvre.

Je crois en notes brûlées,
brûlées jusqu'aux cendres,
brûlées jusqu'à la dernière.

Je crois en la dispersion des chiffres,
leur dispersion sans regrets.

Je crois en la hâte de l'homme,
en la précision de ses gestes,
en son libre arbitre.

Je crois en la destruction des tables,
le déversement des liquides,
l'extinction du rayon.

J'affirme qu'on y parviendra,
qu'il ne sera pas trop tard,
et que la chose se fera sans témoins.

Personne n'en saura rien, j'en suis sûre,
ni la femme, ni le mur,
ni l'oiseau : sait-on jamais ce qu'il chante.

Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,
en des années de travail pour rien.
Je crois en un secret emporté dans la tombe.

Ces mots planent très haut au-dessus des formules.
Ne cherchent nul appui sur quelque exemple que ce soit.
Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement.


traduit par Piotr Kamiński
in Wisława Szymborska
De la mort sans exagérer
Fayard, 1996



Chernobyl


La traduction du dernier tercet est un peu curieuse :
  • "Szybują mi te słowa ponad regułami" ; littéralement : "Ces mots me font planer au-dessus des règles". Pas tout à fait la même chose ... "Ces mots me transportent par-delà les règles".
  • Idem pour le dernier vers : je ne lis que "Ma foi est aveugle,et sans fondement"; aucune mention de "force", et c'est bien suffisant : en polonais comme en français, "aveugle" quand il qualifie la foi connote la force ; c'est tout l'art de Szymborska de renverser cette image de foi enracinée comme un sumo : foi indéracinable car "sans fondement".

Au total, quelque chose comme cela (un petit exemple du mysticisme discret de Szymborska) :

Ces mots me transportent par-delà les règles.
Ils ne cherchent confirmation dans aucun exemple.
Ma foi est aveugle et sans fondement.
  

Dernier arrêt -- Georges Séféris


(Parce que la paresse n'empêche pas la suite dans les idées ...)




Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

(traduit par Jacques Lacarrière et Égérie Mavraki in Georges Séféris, Poèmes 1933-1955 suivis de Trois poèmes secrets, Poésie / Gallimard)




Poème de résistance. Kalavryta, Kaisariani, Kedros, Haidari, Distomo, Mesovouno, Chortiatis ... les paroles méprisantes ont le pouvoir de rouvrir les plaies que l'on croyait refermées pour toujours. Pas sûr que la chancelière Merkel, élevée dans une DDR qui pensait avoir évacué définitivement le problème de l'héritage du Reich, soit psychologiquement armée pour saisir combien les mots de ses ministres sont ravageurs.



Dernier poème d'exil aussi : Séféris rentre en Grèce fin 1944 ; il ne la quittera plus en dehors de ses missions dipomatiques (Turquie, Grande-Bretagne).

Exil, "exilé", terme qu'un correspondant inconnu m'a fait revenir en mémoire : wygnanie en polonais (le fait d'être chassé au loin), construit sur gnać (chasser), un terme qui voisine et se contamine dans le dictionnaire avec d'autres vilains verbes en "gn", comme gnębić (opprimer), gnieć (pourrir), gnieść (pressurer), gniewać (fâcher), gnoić (faire pourrir) ... autant de têtes hideuses (ou plutôt morveuses car il y a gnój aussi dans les parages) qui assiègent le fragile gniazdo (nid).

dimanche 12 février 2012

Politiquement correct ?


Kennedy (moderne et bien accompagné), Nixon (ce n'est pas beau d'écouter aux portes ; et puis, franchement, lui achèteriez-vous une voiture d'occasion ?), Carter (la moralisation du capitalisme) ... nous en étions là des divers avatars de notre Président (*). Reagan maintenant, avec un petit blitzkrieg culturel ?

L'occasion de rappeler que les trentes dernières pages de Le seul et vrai Paradis de Christopher Lasch (section "La théorie de la nouvelle classe et ses origines historiques" et suivantes) seront certainement d'un grand secours dans les trois mois qui viennent. Les autres pages aussi, d'ailleurs, mais comme il y en a près de 700, le risque est grand d'arriver aux dernières pages après la bataille !
Ah, oui, en français contemporain, l'idéologie de la "nouvelle classe" qu'il s'agit de brocarder (plus que de la définir comme le remarque perfidement Lasch) se dit "politiquement correct". Ou comment le "politiquement incorrect" bruyamment revendiqué permet de circuler sans solution de continuité apparente des classes moyennes tentées par le Front National (des chômeurs fainéants aux vagues supposées tsunamiesques de l'immigration) aux élites dirigeantes (il faut faire des sacrifices, rigueur, austérité, etc). Ou comment trianguler en clivant.


(*) Oui, je sais, il manque Gerald Ford mais, franchement, qui se souvient d'autre chose de Gerald Ford que sa façon peu orthodoxe de descendre les passerelles d'avion ? 

Calligramme - Georges Séféris


Voiles sur le Nil,
Oiseaux sans cris, privés d'une aile,
Cherchant sans bruit celle qui manque,
Parcourant dans le ciel absent
Le corps d'un adolescent de marbre ?
Traçant sur l'azur d'une encre invisible
Un cri désespéré.

(traduit par Jacques Lacarrière et Égérie Mavraki in Georges Séféris, Poèmes 1933-1955 suivis de Trois poèmes secrets, Poésie / Gallimard)




En vérité, c'était Dernier arrêt,

Rares sont les nuits où la lune m'ait donné plaisir.
L'abécédaire des étoiles que tu épelles
Ainsi que le permet la lassitude du jour qui prend fin,
Où tu découvres un autre sens, d'autres espoirs,
Tu peux le lire plus clairement.

plus en rapport avec l'actualité, que je pensais recopier mais j'avais oublié son ampleur. Autant alors l'inactuel (et court, maudite paresse ! , j'avais été plus courageux ...) Calligramme, du même recueil Journal II (1941-1944).
  

vendredi 10 février 2012

Visite à Godenholm -- Ernst Jünger (1895-1998)


Un autre de ces rares livres qui savent rendre la "vision" :







Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.




Publié en 1952, traduit par Henri Plard chez Christian Bourgois (10/18 ; 1953)

mercredi 1 février 2012

Superstitions - Francesco Masci


Si la modernité est "la deuxième tentative de dépassement de la gnose" (H. Blumenberg, La légitimité des temps modernes) alors la modernité esthétique est un double renversé de cette même tentative de résoudre le problème du mal. La modernité est devenue possible lorsque la structure ordonnée du chaos scolastique a commencé à se fissurer et que le monde a cessé de se graver sur l'homme pour s'ouvrir devant lui comme un matériel à réorganiser. Avec quelques siècles de retard, ce programme d'auto-affirmation de l'homme est remplacé, dans la modernité esthétique, par celui de la négation du monde. Le poète Lenz en avait annoncé le ton dès le début : "Nous ne devons pas cesser nos fatigues tant que nous n'aurons pas créé un espace libre même si cet espace est un désert épouvantable ou un vide épouvantable. Et alors nous méditerons sur lui, comme Dieu médita sur le désert ou sur le vide avant que le monde fût créé, et alors quelque chose surgira. Oh béatitude, oh sentiment divin !" (Über Gotz von Berlichingen). Et pourtant la répétition de la promesse eschatologique, qui témoigne à chaque fois de sa non-réalisation, a tissé un entrelacement de topos et figures tellement denses que l'espace laissé vide par l'absence du monde est aussitôt réoccupé par sa copie culturelle. Il aura fallu à peine un siècle, le temps, comme le dit Hans Blumenberg, que la "fleur bleue' de Novalis s'obscurcisse jusqu'à se transformer en la "fleur noire" de Stefan George, pour que la culture parvienne à la conscience de soi comme tristesse de la séparation et inaugure donc, avec le dadaïsme, la tradition de la révolte auto-référentielle. Depuis, de nombreuses formes d'autodestruction jalonnent son histoire, comme autant de monuments à la mémoire d'une sécession qui doit continuellement être renouvelée. L'espace de la culture est ainsi organisé par l'addition de fragments indépendants, espace sur lequel peut reposer une interprétation horizontale du temps par lui-même et où chaque acte de révolte est aussi un acte de mémoire.

La culture est l'asservissement, par le truchement du temps, des traditions anti-modernes au fonctionnement différencié de la société. Lorsque les événements de la culture entrent en contact avec des éléments anhistoriques, ils les ramènent spontanément au temporel ou, plus exactement, au présent. Si l'idôlatrie consiste, comme le dit Simone Weil, dans le fait de "situer l'illimité en un milieu essentiellement limité", l'on peut alors parler de la culture comme d'une forme de diffusion universelle de l'idolâtrie.


(Allia, 2005)


Ah ... Über Götz von Berlichigen ... un des textes fondateurs du Sturm und Drang, conférence donnée par Lenz à la Société de Philosophie de Stasbourg autour de 1755 à propos du drame de Goethe, drame "shakespearien" qui par retour à l'envoyeur (traduction de Walter Scott) participa au déclenchement de la vague du romantisme anglais.

Et quelle élégance, un rien infidèle, dans la traduction de ce passage tout de même assez alambiqué :

[Das lernen wir daraus, daß] diese unsre handelnde Kraft nicht eher ruhe, nicht eher ablasse zu wirken, zu regen, zu toben, als bis sie uns Freiheit um uns her verschafft, Platz zu handeln: Guter Gott Platz zu handeln und wenn es ein Chaos wäre das du geschaffen, wüste und leer, aber Freiheit wohnte nur da und wir könnten dir nachahmend drüber brüten, bis was herauskäme - Seligkeit ! Seligkeit ! Göttergefühl das !

Plus littéralement (à partir de "Guter Gott ..."), cela donnerait : 

Un espace pour agir, Seigneur, et quand bien même ce serait un chaos que tu créerais, épouvantable et vide, pourvu seulement que la liberté y règne, nous pourrions, suivant ton exemple, méditer sur lui jusqu'à ce que quelque chose surgisse.

(accessoirement, je suis toujours ravi de ce que l'allemand utilise le même verbe, brüten, pour méditer et couver ! D'ailleurs, il est tentant d'en tenir compte dans la traduction : "... nous pourrions, suivant ton exemple, le couver jusqu'à ce que l'éclosion se produise".)

La traduction proposée est indéniablement plus élégante :

Nous ne devons pas cesser nos fatigues tant que nous n'aurons pas créé un espace libre même si cet espace est un désert épouvantable ou un vide épouvantable. Et alors nous méditerons sur lui, comme Dieu médita sur le désert ou sur le vide avant que le monde fût créé, et alors quelque chose surgira. Oh béatitude, oh sentiment divin !

J'aimerais bien trouver la référence de cette traduction.



La "fleur bleue", c'est bien sûr le but de la Quête amoureuse dans Heinrich von Ofterdingen et la "fleur noire", c'est au dernier vers de Im Unterreich, poème du très baudelairien Algabal :

Wie zeug ich dich aber im heiligtume
– So fragt ich wenn ich es sinnend durchmass
In kühnen gespinsten der sorge vergass –
Dunkle grosse schwarze blume ?


Comment donc t'enfanter en un tel sanctuaire
- Me demandais-je en l'arpentant, pris dans mes songes,
Et chassant le souci par l'audace du rêve -
O sombre fleur, fleur gigantesque et noire ?

(traduit par M. Boucher
in Stefan George, Poèmes 1886-1933
Flammarion, 1969)