samedi 24 octobre 2009

Böhmen liegt am Meer -- Ingeborg Bachmann


Sind hierorts Häuser grün, tret ich noch in ein Haus.
Sind hier die Brücken heil, geh ich auf gutem Grund.
Ist Liebesmüh in alle Zeit verloren, verlier ich sie hier gern.

Bin ich’s nicht, ist es einer, der ist so gut wie ich.

Grenz hier ein Wort an mich, so laß ich’s grenzen.
Liegt Böhmen am Meer, glaub ich den Meeren wieder.
Und glaub ich noch ans Meer, so hoffe ich auf Land.

Bin ich’s, so ist’s ein jeder, der ist soviel wie ich.
Ich will nichts mehr für mich. Ich will zugrunde gehn.

Zugrund – das heißt zum Meer, dort find ich Böhmen wieder.
Zugrund gerichtet, wach ich ruhig auf.
Von Grund auf weiß ich jetzt, und ich bin unverloren.

Kommt her, ihr Böhmen alle, Seefahrer, Hafenhuren und Schiffe
unverankert. Wollt ihr nicht böhmisch ein, Illyrer, Veroneser,
und Venezianer alle. Spielt die Komödien, die lachen machen.

Und die zum Weinen sind. Und irrt euch hundertmal,
wie ich mich irrte und Proben nie bestand,
dich hab ich sie bestanden, ein um das andre Mal.

Wie Böhmen sie bestand und eines schönen Tags
ans Meer begandigt wurde und jetzt am Wasser liegt.

Ich grenz noch an ein Wort und an ein andres Land,
ich grenz, wie wenig auch, an alles immer mehr,

ein Böhme, ein Vagant, der nichts hat, den nichts hält,
begabt nur noch, vom Meer, das strittig ist, Land meiner Wahl zu sehen.




La Bohème est au bord de la mer

Vertes en ce pays sont les maisons, j'y entre encore.
Indemnes sont les ponts, je vais en terrain sûr.
Peines d'amour perdues de tout temps, je les perds ici bien volontiers.

Ce n'est pas moi, mais quelqu'un d'aussi bon que moi.

Un mot m'accoste et je me laisse accoster.
La Bohème est encore au bord de la mer, je crois les mers à nouveau.
Et croyant à la mer, en la terre, j'espère.

C'est moi, donc c'est tous ceux qui sont autant que moi.
Et je ne veux plus rien pour moi. Faire naufrage.

Naufrage -- cela veut dire en mer, là je retrouve la Bohème.
Couler à pic -- je me réveille dans le calme.
Je connais le fond à présent, tout le contraire de perdue.

Venez, Bohémiens de tous bords, navigateurs, putains portuaires, navires
jamais à l'ancre. Et ne voulez-vous être de Bohème, ô vous tous, d'Illyrie, de Vérone
et de Venise Jouez les comédies qui font rire,

et qui pourtant sont pour pleurer. Et trompez-vous cent fois

comme moi je l'ai fait, sans être reçue aux épreuves,
reçue pourtant, une fois pour l'autre.

Comme fut reçue la Bohème, comme un beau jour elle reçut
la grâce d'approcher la mer, et maintenant se trouve au bord de l'eau.

J'accoste encore un mot et un autre pays,
j'accoste, si peu que ce soit, à tout de plus en plus,

bohème, vagabonde, qui n'a rien ni ne conserve rien,
dotée seulement de la mer, de la mer contestée, pays élu de mon regard.

(traduction de François-René Daillie, in Ingeborg Bachmann - Poèmes, Actes Sud)


Anselm Kieffer -- Böhmen liegt am Meer



Hé oui, Anselm aussi s'y met ... mais où sont donc ces satanées côtes de Bohème ? Demandez donc à William !
Mais si, William, William Shakespeare, The Winter's Tale, plus précisément.

Sur Kieffer, Bachmann et Celan, voir ici.




Bizarre, à la dernière strophe, pour

ein Böhme, ein Vagant, der nichts hat, den nichts hält,
(...)

je lis

bohème, vagabonde, qui n'a rien, que rien n'arrête,
(...)


Quant à s'approcher sans dégats de "begabt nur noch, vom Meer, das strittig ist, Land meiner Wahl zu sehen" ...


Voici une autre version française, de Françoise Rétif :

Bohémien, vagabond, qui n’a rien, ne garde rien,
n’ayant pour seul don, depuis la mer, la mer contestée,
que de voir
le pays de mon choix

trouvée sur le site Monumenta 2007 (Ansel Kieffer); le lien est (vous pouvez en particulier écouter Bachmann lire ce poème).
D'autres poèmes aussi, de Bachmann et de Celan en version originale, française et anglaise.


Ainsi, au même endroit, une version anglaise de Peter Filkins :

a Bohemian, a wandering minstrel, who has nothing, who
is held by nothing, gifted only at seeing, by a doubtful sea,
the land of my choice.



Pour commencer, il y a quelque chose qui me manque dans ces traductions : le "nur noch" dans 'begabt nur noch" indique une diminution par rapport à un état antérieur. "begabt nur noch", c'est "n'ayant plus pour seul don que", "n'ayant conservé de ses dons que".

Je comprends donc plutôt quelque chose de l'ordre du regret, de la tristesse : "n'ayant conservé pour seul don que de voir, depuis la mer, la mer contestée, le pays que j'avais choisi" ou bien , en prenant un peu la tangente, "n'ayant plus pour seule joie que de contempler depuis la mer, la mer agitée, le pays que j'avais choisi"

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