jeudi 15 octobre 2009

J'ai retenu la vie -- Nadia Tuéni (1935-1983)


Pour que dure l'instant sous le poids des mémoires
j'ai retenu la nuit
plus doucement qu'une main de femme
plus longuement sans oublier
contre des murs vivants
sur un étroit chemin utile comme un arbre

Pour que le don de Mort recouvre les eaux sûres
J'ai retenu la mer
loin des cathédrales dont elle se glorifie
loin de ces araignées qui tissent encore des vagues pour attirer la plage
et des rochers tordus où s'en ira la vie
j'ai retenu la vie
j'ai retenu la mer

Pour que reste le cri des oiseaux de l'orage
ceux qui n'ont plus rien dit depuis la grande attente
ceux qui prient chaque fois pour les morts en puissance
et détiennent la tour d'où soufflent tous les vents
j'ai retenu la mer
la nuit est moins féroce
qui permet au soleil
un temps de revenir


(in Juin et les mécréantes, Seghers,1968)



Nadia T
uéni, l'amie inconnue des mauvais jours. Juin et les mécréantes, mon préféré, avec Archives sentimentales d'une guerre au Liban. Un recueil dédié à Léopold Sédar Senghor, Maxime Rodinson, Yannis Ritsos et Rouben Melik, qui s'ouvre ainsi :

Mon nom ne parle pas de soleils et de haines
des visages que Dieu lui-même a oubliés
de ces volcans éteints où seule la même fleur demeure inexorable
ni de toi homme noir pour qui la mer est neige.
(...)


et se clôt sur :

(...)
O que la vérité est menteuse,
car l'infini de l'eau est démenti par le sable.
Tout n'est si beau que parce que tout va mourir,
dans un instant ...


Les Œuvres Complètes (2 volumes, poésie et prose) de Nadia Tuéni ont été publiées aux éditions Dar An-Nahar (Beyrouth, 1986).

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