lundi 29 novembre 2010

La Barca -- Thomas Köner





In a barque she sails across the high lands of the past.

The barque heads shimmer and glow at stern and bow, 
and that lights her unseeable passage.
 
She calls to the spirits of this hour, 
and that is how we come to even hear her voice.



Enfin mis la main sur la ré-édition en deux LP du CD sorti sur Fario/Feardrop l'an dernier et qui m'avait échappé par pure incurie ... avec 600 copies, il ne fallait pourtant pas être grand clerc pour prévoir qu'il n'en resterait pas longtemps en stock !

"Dark ambient" ? Pas vraiment, pas du tout, bien que ce soit ce que j'avais souvent lu ; pas de sentiment d'oppression, pas de sample "dérangeant", au contraire, c'est plutôt le lent déploiement d'un espace à la fois très lisse et très accueillant, vibrant de "field recordings" étrangement familiers qu'on peut aller situer sur une mappemonde par leurs longitude et latitude (sauf erreur : Tokyo, Nice, Venise, La Palma, Rome, Damas, Paris, Le Caire, Spitzberg, Jérusalem, Montenegro et Barcelone).

Quelque chose comme ce qu'ouvrait le "We had a dream last night. We had the same dream" de Biosphere (Phantasm sur l'album Patashnik) mais en beaucoup plus dépouillé et qui s'étire sereinement sur presque une heure.

Retour à Reims -- Didier Eribon


Il n'y a plus aucune excuse pour ne pas lire ce livre magnifique et bouleversant pour ceux qui savent être "sortis de leur condition", en connaissent et en taisent le prix : sorti l'an dernier chez Fayard, il vient d'être édité en poche chez Champs/Flammarion (8€).

Difficile de faire mieux qu'Annie Ernaux comme compte-rendu (octobre 2009), d'autant qu'elle choisit de citer cette phrase qui m'avait littéralement suffoqué à la lecture : "Un corps d'ouvrière, quand il vieillit, montre à tous les regards ce qu'est la vérité de l'existence des classes."

jeudi 25 novembre 2010

Les statues meurent aussi -- Chris Marker, Alain Resnais


"Quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’Histoire.
Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’Art.
Cette botanique de la Mort est ce que nous appelons la Culture."





Découverte, ce documentaire de 1953 dont la première diffusion non caviardée date de 1968.

En trois parties : 1, 2, 3.

Voir aussi ici pour une retranscription d'une émission de France Culture, « La Nouvelle Fabrique de l’histoire » du mardi 18 juillet 2006 consacrée à ce documentaire.

mardi 23 novembre 2010

Encore un peu de lecture ?


La New York Review of Books a une édition en ligne.

Long Live the Web: A Call for Continued Open Standards and Neutrality -- Tim Berners-Lee


Excellente synthèse des dangers qui menacent le Web comme il a été pensé depuis le début des années 90, ce qui ne fait après tout que 20 ans ... on pourrait remonter un peu plus haut dans le temps avec finger archie et compagnie ; cela ne nous mènerait pas plus de dix ans plus tôt !


"The Web as we know it, however, is being threatened in different ways. Some of its most successful inhabitants have begun to chip away at its principles. Large social-networking sites are walling off information posted by their users from the rest of the Web. Wireless Internet providers are being tempted to slow traffic to sites with which they have not made deals. Governments—totalitarian and democratic alike—are monitoring people’s online habits, endangering important human rights.
If we, the Web’s users, allow these and other trends to proceed unchecked, the Web could be broken into fragmented islands. We could lose the freedom to connect with whichever Web sites we want. The ill effects could extend to smartphones and pads, which are also portals to the extensive information that the Web provides.
Why should you care? Because the Web is yours. It is a public resource on which you, your business, your community and your government depend. The Web is also vital to democracy, a communications channel that makes possible a continuous worldwide conversation. The Web is now more critical to free speech than any other medium. It brings principles established in the U.S. Constitution, the British Magna Carta and other important documents into the network age: freedom from being snooped on, filtered, censored and disconnected.
Yet people seem to think the Web is some sort of piece of nature, and if it starts to wither, well, that’s just one of those unfortunate things we can’t help. Not so. We create the Web, by designing computer protocols and software; this process is completely under our control. We choose what properties we want it to have and not have. It is by no means finished (and it’s certainly not dead)."



Graphe d'un crawl (partiel !) du web (source)


Anyway ... happy birthday WWW !


Francis Berezné (1946-2010)




Francis Berezné (source)


Lire ici et .
Voir ici.

Trois livres de Francis Berezné sont disponibles à La Chambre d'échos : La vie vagabonde, Le dit du brut, et, surtout, du moins à mon avis, La mémoire saisie d'un tu.




Équité ...


Sans doute le mot le plus galvaudé des réunions entre managers ! Entre ceux qui affirment hautement qu'équitable ne veut pas dire égal sans fournir de plus ample information sur ce que serait positivement l'équité et ceux qui "sentent confusément" qu'on entre là nécessairement dans un domaine que les règles en vigueur ne balisent plus ("hic sunt leones" disaient les cartes anciennes de ces territoires), il y a de quoi entretenir et la conversation et la confusion.


Aristote s'était pourtant attelé à la tâche dans l'Ethique à Nicomaque en particulier :


Il convient à présent de voir quel rapport existe entre la justice et l’équité, entre ce qui est juste et ce qui est équitable. Car on trouve, en les considérant avec attention, que ce n’est pas une seule et même chose, quoiqu’il n’y ait pas de différence spécifique de l’une à l’autre. Il y a des circonstances où nous louons ce qui est équitable, et l’homme qui a ce caractère; en sorte qu’en certains cas, nous employons l’expression plus équitable, au lieu de bon ou juste, pour manifester notre approbation ; donnant à entendre par là que la chose est mieux ainsi. D’un autre côté, à ne consulter que la raison, si ce qui est équitable est quelque chose qui s’écarte de la justice, il semble assez étrange qu’on lui donne son approbation. Car, enfin, ou le juste n’est pas conforme à la vertu, ou ce qui est équitable n’est pas juste (s’il est autre chose) ; ou bien, si l’un et l’autre sont conformes à la vertu, ils ne sont qu’une même chose. Voilà précisément ce qui fait naître le doute et l’embarras au sujet de ce qu’on appelle équitable. Cependant ces expressions sont toutes exactes sous un certain point de vue, et n’ont rien de contradictoire. Car ce qui est équitable, étant préférable à une chose juste d’une certaine espèce, est assurément juste; et, puisqu’il n’est pas une espèce autre ou entièrement différente du juste, il est préférable au juste. Le juste et l’équitable sont donc (en ce sens) une même chose, et comme l’un et l’autre sont conformes à la vertu, l’équitable mérite la préférence.

Ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, bien qu’il soit juste, n’est pas exactement conforme à la loi ; il est plutôt une modification avantageuse du juste qui est rigoureusement légal. Cela vient de ce que toute loi est générale , et qu’il y a des cas sur lesquels il n’est pas possible de prononcer généralement avec une parfaite justesse. Et, par conséquent, dans les choses sur lesquelles la loi est obligée de s’expliquer d’une manière générale, quoique ses décisions ne soient pas susceptibles d’une extrême précision, elle embrasse ce qui arrive le plus communément, sans se dissimuler l'erreur de détail [qui peut résulter de ses décisions] ; elle n’en est pas moins ce qu’elle doit être, car l’erreur ne vient ni de la loi, ni du législateur, mais de la nature même de la chose, puisque la matière des actions humaines est précisément telle.

Lors donc que la loi s’explique d’une manière générale, et qu’il se rencontre des circonstances auxquelles ces expressions générales ne peuvent pas s’appliquer, alors on a raison de suppléer ce que le législateur a omis, ou de rectifier l’erreur qui résulte de ses expressions trop générales, en interprétant ce qu’il dirait lui-même s’il était présent, et ce qu’il aurait prescrit par sa loi s’il avait eu connaissance du fait. Voilà pourquoi il y a une justice préférable à la justice rigoureuse dans tel cas particulier; non pas à la justice absolue, mais à celle qui prononce en des termes absolus, qui dans ce cas sont une cause d’erreur; et telle est précisément la nature de l’équité ; elle remédie à l’inconvénient qui naît de la généralité de la loi. Car ce qui fait que tout n’est pas compris dans la loi; c’est qu’il y a des cas particuliers sur lesquels il est impossible qu’elle s’explique: en sorte qu’il faut avoir recours à une décision particulière ; car la règle de ce qui est indéterminé doit être elle-même indéterminée. Comme ces règles de plomb dont les Lesbiens font usage dans leurs constructions , et qui, s’adaptant à la forme de la pierre, ne conservent pas l’invariable direction de la ligne droite; ainsi les décisions particulières doivent s’accommoder aux cas qui se présentent.

On voit donc ce que sont l’équitable et le juste, et à quelle sorte de juste il est préférable; et l’on voit encore par là ce qu’est un homme équitable: c’est celui qui , dans ses déterminations et dans ses actions, sait s’écarter de la justice rigoureuse quand elle peut avoir des inconvénients, et qui, s’appuyant toujours sur la loi, sait en adoucir la rigueur. Cette habitude ou disposition d’esprit est précisément l’équité : c’est une sorte de justice, ou une habitude qui ne diffère réellement pas de la justice.

(Livre V, section X, La justice





Il faudrait aussi citer les sections III (sur la justice distributive) et IV (sur la justice de compensation) ; comme le management a plus souvent à faire à la justice distributive, on se contentera de retenir que cette justice se fonde sur la règle de proportionnalité : c'est justice que tel qui a contribué deux fois plus à la production d'un bien commun deux fois plus que les autres en jouissent deux fois plus.

Mais qui dit proportion dit mesure, dit critère unique selon lequel juger ... Est-ce justice, pour reprendre l'exemple ci-dessus, de ne prendre en compte que la contribution et de négliger la progression ? Toute personne débutant sur une tâche doit-elle nécessairement subir la conséquence de sa moindre efficacité ?

C'est ici qu'on peut peut-être se simplifier la vie en pensant aux sphères de justice de Michael Walzer (et en simplifiant outrageusement le propos mais entre managers on n'a guère le choix ...) : chacune de ces sphères représente un régime de mesure cohérent et ces différents régimes sont irréductibles entre eux (plus précisément, il importe de veiller à ce que ces régimes soient irréductibles entre eux et qu'un avantage dans une sphère -- celle du patrimoine, au hasard -- ne provoque pas mécaniquement un avantage dans une autre -- celle de la politique, au hasard encore, bien sûr). 

L'égalité est le régime de justice à l'intérieur de chacune des sphères : traiter de façon égale ce qui est égal et donc de façon proportionnée ce qui est inégal (du moins pour la justice distributive). Ce régime peut être assez largement balisé, "objectivé", par les règles en vigueur (atteinte des objectifs, difficulté des objectifs, etc) ; du moins, on le supposera ... entre managers !

Dans ce point de vue, tout autre est le rôle de l'équité : il s'agit de choisir comment prioriser les différentes sphères entre elles et, comme elles sont par principe incommensurables entre elles,  il ne saurait s'agir d'une sorte de "pondération générale" qu'on pourrait appliquer à tous : il s'agit bien de prioriser entre sphères et cette priorisation ne peut se faire que pour chaque cas particulier. Hic quidem sunt leones !

  

dimanche 21 novembre 2010

Lectures -- George Steiner


Un autre versant par lequel aborder George Steiner, ce recueil de chroniques du New Yorker ; le spectre est large, de la trahison d'Anthony Blunt à la traduction de Paul Celan en passant par Salvatore Satta (une critique lumineuse (*) de Le jour du Jugement, un chef d'œuvre qui pourrait trouver un public, qui sait ? Traduit par Nino Franck chez Gallimard, 1981), Albert Speer et Soljenytsine. Spectre large mais point de vue élevé tant ces critiques semblent autant d'essais autour des sujets qui hantent Steiner, au premier rang desquels, bien sûr, la lancinante question de l'impuissance (au mieux ...) de la plus haute culture à empêcher l'irruption de la barbarie (au cœur, entres autres, du Château de Barbe-bleue).

(*) extrait :
"Il Giorno est un livre difficile à décrire. La voix stoïque du chroniqueur intervient, et se demande s'il convient de rappeler à une présence spectrale les incidents, les gestes, les dramatis personae de Nuoro, avant ou après la Première Guerre mondiale, si, comme l'a fait le Christ dans l'un de ses commandements les plus énigmatiques et dédaigneux, il ne faut pas laisser les morts enterrer les morts. Satta se moque de la vanité de son entreprise, son ambition de résurrection. Dans le même temps, il reconnaît les prétentions au souvenir : l'appel doux mais pressant des disparus à la remémoration des vivants. Hormis Walter Benjamin, nul mémorialiste ne rend de manière plus saisissante que Salvatore Satta (observez l'augure de son prénom) le droit à la précision dans le rappel des vaincus, des ridicules et de ceux qui présentent les signes extérieurs de l'insignifiance. Dans les pays du Nord, on admet une fois l'an, à la veille de la Toussaint, le murmure frémissant de leur retour. A Nuoro, cette nuit dure toute l'année."



Steiner s'y montre parfois curieusement oublieux, comme dans cet aparté sur le "craquage" d'Enigma, en marge du portrait psychologique d'Anthony Blunt, archétype de la droiture universitaire et espion au service des soviétiques.
Steiner situe ce portrait sous le triple signe de EM Forster ("Si j'avais à choisir entre trahir mon pays et trahir un ami, j'espère bien que j'aurais le cran de trahir mon pays"), des amitiés masculines de Cambridge et du mépris du monde vulgaire par les plus éminents spécialistes universitaires du passé.

Son commentaire sur ceux qui participèrent au craquage d'Enigma se contente de présenter cette participation comme une récréation bienvenue pour ces brillants esprits ... pour une fois que le monde vulgaire valait la peine qu'on condescende à s'y intéresser, en quelque sorte. 
Certes, c'est l'impression qu'on peut retirer de certaines de leurs déclarations un rien désinvoltes ou provocantes mais ce n'est pas vraiment ce qu'on retient des souvenirs de Jack Good, disparu l'an dernier, par exemple (in Codebreakers: The Inside Story of Bletchley Park, Harry Hinsley et Allan Stripp ; Oxford University Press, 1994).
Steiner semble aussi oublier que le monde vulgaire ne faisait pas de cadeaux à ceux qui n'entraient pas dans sa norme sexuelle, quand bien même il se fût agi d'un des esprits les plus brillants du XXème siècle, Alan Turing. Il y avait aussi d'excellentes raisons à cette prévention de l'élite de Cambridge à l'égard du monde vulgaire et de ses conceptions étriquées.



(disponible dans la collection "Arcades", Gallimard, traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, 2010)

samedi 20 novembre 2010

Eloge de la transmission -- George Steiner et Cécile Ladjali


Pas facile d'aborder George Steiner ... En effet ! Comment ne pas se sentir un peu "de trop" dans les conversations que ce maître de la critique mène avec les classiques et, accessoirement, comment ne pas rougir à chaque page sur sa propre inculture ?

George Steiner fait un peu peur, à juste titre, à ceux qui sont conscients de n'avoir pas assez ni assez bien lu. Alors, pour se rassurer avant d'aborder Réelles présences, Après Babel ou Le château de Barbe-bleue, il faut lire ce précieux petit livre d'entretiens ; pour y lire la présentation que Cécile Ladjani fait de Steiner, pour y lire ce que Steiner écrit de Murmures (à L'Esprit des Péninsules, 2001, avec une préface de George Steiner), "cantique à trente voix" sur le thème de la Chute écrits par la classe de Cécile Ladjani, pour y lire enfin le message d'espoir qu'à deux ils délivrent sur l'accessibilité à tous de la "haute tradition", sur la nécessité de risquer cette ambition et de se risquer sur le terrain de la transmission de la culture.




"A combien de lycéens ce messager du Logos, ce "témoin pour les témoins" du désastre européen est-il connu ? Mais combien est justice sa discrète intervention dans ce cantique à trente voix. Car c'est dans l'œuvre de Paul Celan, dans la fatalité de son destin, que la littérature va à l'essentiel, à la fragile éventualité du poème quand le langage est devenu glapissement, slogan de la barbarie, aspirine de la consommation publicitaire. Et il est plus qu'émouvant de noter que les participants aux Murmures forment un éventail ethnique somptueux ! Que de peuples, que de langues maternelles, que de legs spirituels radicalement divers, dans ce palmarès. C'est nous faire savoir que l'exil, l'immigration, la condition du marginalisé, la perte de la langue maternelle sont devenus la norme sur une planète en tourmente. Au tout premier plan, ce fut la condition de Celan (comme celle de Dante). Dans une perspective plus large, cette marginalisation, cette mise "hors-la-loi" aide à définir le rôle de la poésie, soit sous tous les régimes totalitaires, soit - cela pourrait être plus grave - sous l'emprise des valeurs matérielles, du technocratique, qui caractérisent l'arrogante vulgarité du marché libre. Celan fut toujours aux côtés des sans-abris. J'ose croire que nos "murmurants" en savent quelque chose."
(George Steiner dans sa préface à Murmures)




(collection Pluriel, Hachette Littérature, 2003) 

jeudi 18 novembre 2010

The first church of robotics -- Jaron Lanier


 
What all this comes down to is that the very idea of artificial intelligence gives us the cover to avoid accountability by pretending that machines can take on more and more human responsibility. This holds for things that we don’t even think of as artificial intelligence, like the recommendations made by Netflix and Pandora. Seeing movies and listening to music suggested to us by algorithms is relatively harmless, I suppose. But I hope that once in a while the users of those services resist the recommendations; our exposure to art shouldn’t be hemmed in by an algorithm that we merely want to believe predicts our tastes accurately. These algorithms do not represent emotion or meaning, only statistics and correlations. 

What makes this doubly confounding is that while Silicon Valley might sell artificial intelligence to consumers, our industry certainly wouldn’t apply the same automated techniques to some of its own work. Choosing design features in a new smartphone, say, is considered too consequential a game. Engineers don’t seem quite ready to believe in their smart algorithms enough to put them up against Apple’s chief executive, Steve Jobs, or some other person with a real design sensibility. 

But the rest of us, lulled by the concept of ever-more intelligent A.I.’s, are expected to trust algorithms to assess our aesthetic choices, the progress of a student, the credit risk of a homeowner or an institution. In doing so, we only end up misreading the capability of our machines and distorting our own capabilities as human beings. We must instead take responsibility for every task undertaken by a machine and double check every conclusion offered by an algorithm, just as we always look both ways when crossing an intersection, even though the light has turned green.




L'article complet est . L'auteur a ceci de particulier de faire à la fois partie des "top few digits researchers" dans le domaine des "computer sciences" et du camp des sceptiques voire des hérétiques devant la foi dans la technoscience dont la forme la plus ridicule s'incarne du côté des "singularistes" (ici, pour les vrais croyants de l'exponentielle ...) mais dont l'influence croît régulièrement à mesure que recule la pratique d'autre chose que l'accès immédiat à l'information. Non que cet accès soit en soi prolématique (*); simplement, il dresse une barrière invisible et rapidement infranchissable entre ceux qui font écho à cette information (pour ne pas dire la "retwittent" ! J'ai un peu de mal à y voir quelque chose de "non trivial et créatif" comme Jaron Lanier ... question de génération ?) et ceux qui la transforment ou, plus rares, qui la produisent.



(*) sans entrer dans le débat bien plus large de la technologie comme "moyen sans fin" mais sans ignorer la naïveté (que Jaron Lanier n'a pas) de la technologie simple outil, "ni bon ni mauvais en soi mais seulement en fonction de l'usage qu'on en fait".
 

samedi 13 novembre 2010

Notes sur quelques moyens de la poésie -- Cornelius Castoriadis


On sait les critiques sévères que Castoriadis adressait aux traductions du grec ancien (de l'allemand de Hölderlin aussi, d'ailleurs) chez Heidegger. 

Cette section des Figures du pensable (Carrefour du Labyrinthe - 6, aux Editions du Seuil) se situe sur un terrain moins miné et est un délice pour tous ceux qui aiment passer d'une langue "dans" une autre.

Juste le début de l'article, sur la traduction d'un fragment de Sappho ; l'occasion, au passage, de rappeler L'égal des dieux, cent versions d'un poème de Sappho recueillies par Philippe Brunet, (1998, Allia).




Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

 

Le Visiteur



Ils ont cherché ce qui n'existe pas, dit le Visiteur. Une doctrine du monde ? Elle n'existe pas, car les lois du monde ne sont que les conventions sur le sens des mots. Une doctrine de la société ? Elle n'existe pas, car les lois de la société ne sont que des règles de comportement inventées par les hommes. Une doctrine de l'homme ? Elle n'existe pas, car l'homme est tout ce qu'on veut, c'est à dire rien. L'homme n'est qu'un visisteur fortuit de ce monde. Dès qu'il existe, il cesse déjà d'exister. Aucune attache, tout est vrai. Et en même temps, tout est faux. Tout a un sens profond. Et rien n'a de sens. Ils sont tous des gens intelligents. Mais l'intelligence exclut le choix, et la science a plus forte raison. C'est bizarre, dit le Barbouilleur. Tout le monde dit le contraire. C'est parce qu'ils cherchent une formule de l'être, dit le Visiteur. Or c'est d'une formule de la vie qu'on a besoin. Une telle formule existe-t-elle, demanda le Barbouilleur. Elle est possible, répondit le Visiteur. Par exemple, demanda le Barbouilleur. Par exemple, le bien et le mal, répondit le Visiteur. Je ne sais pas ce que c'est, répondit le Barbouilleur. Ce sont des variables que l'on peut remplacer par ses propres conceptions du bien et du mal. Lorsqu'on ne fait pas de mal, c'est le bien. Lorsqu'on ne fait pas de bien, c'est le mal. Le bien est aliénable. Le mal est aliénable. Si on donne du mal, on reçoit du mal. Si on donne du bien, on reçoit du bien. Et puis, il y a les souffrances, les plaisirs et le calme. Ici comme en logique, il y a des règles rigoureuses. Personne ne peut interdire de violer des règles de logique. D'ailleurs, elles sont très rarement respectées. Mais si on veut obtenir la vérité, il faut les respecter. De même, personne ne peut interdire de violer les règles de la vie. On les respecte encore moins que celles de la logique. Mais si on veut garder quelque chose d'humain, il faut les respecter. Sans doute, faut-il donc les étudier, dit le Barbouilleur. Hélas, elles restent encore à inventer, dit le Visiteur. Et la religion, demanda le Barbouilleur. L'ancienne religion contient une doctrine de la vie, dit le Visiteur. Mais elle ne peut déjà plus satisfaire les besoins de la vie pratique de l'homme moderne, de même que la logique aristotélicienne ne suffit plus aux besoins de la pratique linguistique des hommes. Nous avons quand même d'étranges conversations, dit le Barbouilleur. Ce qui est étrange, c'est qu'on en ait jamais parlé avant, et qu'on en parle si peu actuellement, dit le Visiteur. L'humanité se trouve devant un choix. Remarque bien que c'est pour la première fois dans l'histoire. Les hommes doivent réfléchir sur l'expérience qui a été tentée chez nous. En toute sincérité et sans pitié aucune. C'est pourquoi il faut parler. Des conversations de ce type sont la tâche primordiale de l'humanité.


(in Les Hauteurs Béantes, Alexandre Zinoviev, 1977, L'Age d'homme, p 245)






A méditer quelque part entre Du communisme au capitalisme -- Théorie d'une catastrophe de Michel Henry (1990 chez Odile Jacob, réédité en 2008 à ... l'Age d'homme) et les "étranges conversations" du blog de Paul Jorion ("Ce qui est étrange, c'est qu'on en ait jamais parlé avant, et qu'on en parle si peu actuellement. (...) Des conversations de ce type sont la tâche primordiale de l'humanité.") ! 

Et bien sûr, toujours se rappeler que l' "expérience" dont parle Zinoviev ne se situe pas forcément dans le cadre du communisme soviétique stricto sensu ; instruit des manuscrits du Schizophrène, le lecteur sait que son point de vue embrasse tous les "Ismes" . Tous. Tout simplement.
 

mardi 9 novembre 2010

Parler seul -- Jean Follain


Il arrive que pour soi
l'on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l'on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d'argile
tandis que chaises, table, armoire
s'embrasent d'un soleil de gloire.


Encore Jean Follain : le premier poème de Exister (1947), caractéristique de sa manière quasi-cinématographique, composant le poème comme une suite de mouvements de caméra, zoom, champ large, travelling (jusqu'au flash-back dans d'autres poèmes, Vie, par exemple). 

Jean Follain, le cinéma sans image.

(in Exister suivi de Territoires, Poésie/Gallimard ; d'autres extraits ici et )


lundi 8 novembre 2010

Storynest -- Hsin-Chien Huang




The Lotus City
Hsin-Chien Huang

Un de ces sites qui vous persuadent que l'expression "new media art" n'est pas un oxymore. A explorer

dimanche 7 novembre 2010

Pipas -- Dehai Liu et Lingling Yu


Ils se produisaient en duo et solo vendredi dernier à Paris. Encore une soirée exceptionnelle à mettre au crédit de l'auditorium Guimet !


Dehai Liu


Il n'y a que par contraste avec l'incroyable fluidité de son maître Dehai Liu que l'on peut remarquer l'attaque presque agressive de Melle Yu. Un somptueux dialogue de l'eau et du feu, à contre-emploi des identifications convenues du yin et du yang (dont la présentation du concert ne faisait malheureusement pas l'économie !), comme cette double interprétation de Embuscades de tous côtés, du point de vue des deux camps, le vainqueur pour Lingling Yu, le vaincu pour Dehai Liu.



Lingling Yu


Répertoire traditionnel de la Chine du Sud-Est essentiellement, ainsi qu'une suite composée par Dehai Liu. Et puis, une surprise, une pièce de la Chine de l'Ouest (Xingjang), un morceau de bravoure impeccablement servi par Lingling Yu qui convoquait tous ces échos qui unissent, par-delà les distances et les différences de technique, la guitare flamenco au târ iranien.  Luths sans frontière !

lundi 1 novembre 2010

En grève jusqu'à la retraite ?


Jolie phrase pêchée dans un article de Erri de Luca (article du Corriere della Sera à propos de la situation créée par la gestion désastreuse des décharges de Naples ; repris dans Courrier International N°1043) :

L'autorité qui appelle urgence le fruit de son incompétence ne passera pas.



Deux points de vue intéressants et apparemment assez différents à lire :

  • l'article de Frédéric Lordon qui totalise pas mal d'UBM (*)
    • que la retraite par capitalisation soit le stade ultime de la boucle salariat-épargne (boucle que le "tous propriétaires" avait déjà bien enclenchée ... on lui rajoute un petit effet inter-générationnel qui la rend encore plus difficile à dénouer : si l'on peut envisager de rendre "ses" clés à "sa" banque, peut-on envisager de bazarder la pension de tata ?) dont la finance se contente d'être le parasite (on passera par profits et pertes son rôle d'optimisation dans la répartition des ressources tant il paraît actuellement déplacé d'en parler. On attendra pour cela que les actionnaires épongent leurs pertes ... eux-mêmes !), après en avoir organisé la mise en branle  c'est assez clair, et on pourrait en rajouter sur la stabilité de cette boucle mais à quoi bon paraphraser Max Weber; 
    • opiner que la ficelle est trop grosse et trop mal présentée pour prendre, cela semble plutôt pêcher par optimisme. Un article qui arrive bien tard : les munitions, c'est avant la bataille qu'il faut les fournir !
  • moins UBMisée, la contribution de Pierre Sarton du Jonchet
    • pas encore réussi à me forger une opinion ; ce coup-ci, je trouve la forme extrêmement obscure comme si, en voulant à l'avance réfuter les objections les plus sophistiquées, PSdJ en était arrivé à écrire en langage codé ... 
    • l'effort d'abstraction qui sous-tend les contributions de PSdJ a un effet rafraichissant, une fois le texte passé et repassé au fer chaud : on y voit à l'œuvre quelqu'un qui prend au mot la position du déontologue benthamien et entreprend de démonter un système pour en exhiber la structure. Sa discussion symétrique des promesses intenables de la répartition et de la capitalisation est un contre-champ utile au texte de Lordon et son exposé des vertus du système à points est dans une droite ligne benthamienne : rendre explicite tout ce qui peut l'être et ne pas attendre d'un système aussi complexe qu'un système de retraite qu'il se régule tout seul ; c'est seulement parce que les citoyens pilotent en permanence ce système qu'il peut fonctionner (c'est-à-dire s'adapter en permanence vers un point de fonctionnement qui fasse consensus), la condition pour cela est une organisation rendant explicites et mesurables, et les promesses, et les coûts du système.
    • on achoppe ensuite sur la complexité du système ; quels paramètres prendre en compte etc. Le diable est dans les détails ou plutôt dans l'illusion qu'on pourra toujours, à information constante, raffiner une solution en lui rajoutant des paramètres. Il n'en reste pas moins qu'un système qui rend effectivement possible un contrôle citoyen éclairé car informé est évidemment préférable.








Sur la présence des lycéens ou étudiants dans les cortèges opposés à la "réforme", on a tout entendu et son contraire mais ce "tout" était strictement centré sur leurs intérêts propres (à accepter, à s'opposer etc). Mes quelques échos de manifestation me laissent à penser qu'il existe un autre angle d'approche, celui d'une solidarité inter-générationnelle à bien plus courte portée que celle qui sous-tend un système de retraite par répartition : lycéens et étudiants sont autant qu'il est possible conscients de l'usure à laquelle le "monde du travail" (socialement responsable, bien sûr ... qui oserait en douter ?) expose leurs parents ; c'est en tout cas par ce biais que beaucoup abordent l'allongement de la durée de cotisation, biais autrement plus mordant que le convenu "on va entrer dans la vie active plus tard etc" qui passe en boucle au point de sonner comme un "dehors les vieux" qu'il n'est pas.

J'ai comme le sentiment qu'entre un conflit de génération facile à mettre en scène quant bien même il ne s'exprimerait nulle part et une solidarité inter-générationnelle qui s'exprime avec pudeur mais ne cadre pas avec les impératifs "bien naturels" d'égoïsme à tout crin, le tohu-bohu qui prétend informer à choisi la facilité. Surprenant ?