mardi 15 septembre 2015

Les Müller - Une dynastie allemande -- Walter Mehring (1896 - 1981)


Petit rappel des destinées de ce livre


Quand par hasard, en 1934, le manuscrit de ce livre parvint à la connaissance du Pr Ernst Karl Winter, alors premier adjoint au maire de la ville de Vienne, celui-ci prit spontanément la décision de le publier à l'imprimerie de ses éditions Gsur, qui fabriquait ses pamphlets polémiques et cinglants, violemment combattus, fondés sur une théologie socialiste.

Trois mois tout juste après la parution, l'ambassadeur d'Allemagne, M. von Papen, exigeait au nom du gouvernement du Reich qu fût saisi et détruit ce "méchant ouvrage" qui représentait "un outrage prémédité à la conscience aryenne de la race et une grossière altération de l'histoire germanique".

Un beau matin, avant l'ouverture des bureaux, l'auteur responsable du texte fut assigné, par le chef de la presse autrichienne, M. le Ministre Ludwig, à comparaître à la chancellerie : "Notre gouvernement se voit malheureusement contraint de faire confisquer votre petit ouvrage, que soit dit en passant j'ai lu avec grand plaisir, afin de prévenir des mesures plus graves, à savoir le transfert de votre précieuse personne auprès des autorités du Grand Reich".

Quatre ans plus tard, après l'Anschluss, brutale annexion de la Marche orientale, le ministre Ludwig fut fait prisonnier avec un grand nombre d'autres collègues ; Ernst Karl Winter fut condamné à l'exil avec sa famille qui comptait dix têtes ; son auteur fut poursuivi par un mandat d'arrêt ; il eut cependant la chance de réussir, au poste frontière autrichien de Feldkirch, une tentative d'évasion pour échapper aux mains de la Gestapo ...

La présente édition restitue sans changements la version originale que le Pr Ernst Karl Winter, décédé depuis lors, avait eu le temps de vérifier.

Car bien que le commentateur de cette "chronique familliale", plus vieux des vingt-six années de catastrophes historiques vécues par lui, considère maintenant que bien des passages auraient besoin d'être complétés, il ne désire pas rajouter de pièces après coup ; ni tenter d'en imposer au lecteur par une apparente actualisation qui, dès demain, sera une fois de plus lamentablement dépassée.



Ascona, avril 1960


Je n'avais pas pensé à ce livre drolatique du temps des débats sur l'identité nationale mais ce temps consternants n'ayant pas vraiment passé, il reste d'actualité !
Car les Müller aussi ont eu des ancêtres sous Charlemagne ... et même au temps de Tacite, non mais ! Ce qui fait de leur généalogie la plus agréable façon de réviser l'histoire de l'Allemagne. De réviser sa littérature aussi, tant on y voit circuler de personnages classiques dans des situations assez différentes de celles où les auteurs les ont placés : ceux de Die Hermannsschlacht, par exemple, que Kleist avait déjà piqué à Tacite, mais on voit aussi passer un cornette dont la mort est nettement moins glorieuse que celle de l'ancêtre de Rilke !


Traduit par Hélène Belletto dans la collection "Pavillons" de Robert Laffont, 1982. 

De la version originale, j'avais conservé une impression plus forte d'une suite de pastiches (de la poésie scaldique au roman romantique) mais ce n'est qu'un vieux souvenir et je n'ai pas été vérifier.


Un petit extrait aux couleurs d'actualité :



Tandis que le fils aîné de Wolf reprenait le métier de cocher déjà exercé par son père, héritant également de sa grossièreté et de son ivrognerie, le second, qui était en même temps le plus jeune des enfants, acquit des connaissances linguistiques et des manières civiles, grâce à son mariage. Le vieux avait autrefois ramené un curieux chargement : des réfugiés français que par un jour d'hiver glacé il avait ramassés morts de froid au bord de la route avec tout leur saint-frusquin, des huguenots de la ville de Paris : l'homme, la femme et leur fille. Ils restèrent quinze jours logés chez les Müller, où la femme mourut d'épuisement. Un monde nouveau avait pénétré avec eux dans le petit village du Brunswick. Les récits des étrangers firent naître dans la tête des Müller l'image grotesque d'un centre de dissipation orientale, de vices babylonesques et de cruauté pharaonique. Le vieux huguenot Letellier, qui avec le zèle le plus opiniâtre avait remis sur pied son entreprise parisienne, une bonneterie, soir après soir fumait tranquillement une longue pipe d'argile, assis auprès de la cheminée des Müller ; à côté de lui, Modeste, sa fille : jolie, un peu forte, mais que les braves gens trouvaient cependant infiniment gracieuse ; elle comprenait juste assez d'allemand pour servir d'interprète quand son père, à l'infini, décrivait leur fuite - cachés entre les balles d'étoffe d'un cargo, les nuits passées dans la forêt, détroussés par des aubergistes, rejetés par toutes les autorités, évités de tout un chacun -, racontait les affres des malheureux privés de leurs droits. Eberhardt, le second fils, la regardait fixement tandis qu'elle s'efforçait de rassembler ses mots, la considérant comme une fée merveilleuse ; il imitait chacun de ses mouvements, craignant sans cesse de commettre une maladresse ; en secret, il potassait le français.





De Mehring, qui fut des fondateurs de Dada à Berlin, on peut aussi lire, La bibliothèque perdue - Autobiographie d'une culture, traduit par Gilberte Marchegay, aux Belles Lettres (2014)


mardi 8 septembre 2015

Die ersten beiden Sätze für ein Deutschlandbuch -- Johannes Bobrowski


Als die ersten Nachrichten von den Massenmorden an Juden in die Stadt gelangten und jedermann meinte, sie seien übertrieben, so schlimm könne es ja wohl nicht sein, und jeder dennoch ganz genau wußte, daß sich das alles tatsächlich so verhielt, daß keine noch so ungeheuren Zahlen, keine noch so gräßlichen Methoden und raffinierten Techniken, von denen man hörte, übertrieben waren, daß wirklich alles so sein mußte, weil es gar nicht anders sein konnte, und daß es längst nicht mehr die Zeit war, davon zu reden, ob es nicht doch noch andere, mildere, menschlichere Verfahren gegeben hätte, Ausweisungen ja wohl nicht mehr, jetzt im Kriege, aber doch garantierte Reservationen, mit Eigenverwaltung undsoweiter, als das völlige Schweigen an der Reihe war, als man sich selber schon hinweggeschwiegen hatte, wer weiß wovon und wer weiß wohin, gegen nichts mehr einen Widerspruch aufsteigen spürte, nur so daherredete, zwischen einem nachlässig stilisierten Witz und dem feierlich-feuchten Gefühl, in einen Schicksalskampf von mythischem Rang einbezogen zu sein, wider Willen, zugegeben, als es so weit war mit denen, die frei herumliefen in Deutschland und frei herumlebten, unter den erschwerten Bedingungen des Krieges, zugegeben, als sie so weit gekommen waren, - was nichts heißen soll, denn so weit waren sie ja dann wohl schon seit je gewesen, wenn es jetzt so gut klappte, als es also war wie schon immer, als das so war, läuteten die Glocken - für gar nichts besonderes: die Hochzeit eines Hirnverletzten, dem man in Anbetracht seiner militärischen Auszeichnungen diesen Wunsch nicht hatte abschlagen können, eines garnisonsverwendungsfähig geschriebenen, aber für die nächsten Jahre vorerst beurlaubten Oberleutnants der Pioniere, mit einer Krankenschwester namens Erika, die ihn im Sanatorium vom Fensterkreuz, an dem er sich aufgeknüpft, mit eigner Hand abgeschnitten hatte und die er am Abend der Hochzeit noch erwürgte, in einem sogar vermuteten Anfall von Geistesgestörtheit, was auch nichts heißt, denn geistesgestört zu sein war ohnehin sein behördlicher Zustand gewesen seither, das heißt seit zwei Jahren, seit seiner Verletzung. 

Das eine also seit zwei Jahren, das andere seit wann?

(in Johannes Bobrowski, Gesammelte Werke, Deutsche Verlags-Anstalt, München, 1998)



Je ne connais pas de traduction française de ce texte de 1964, mais une traduction anglaise trouvée ici :


 
The first two sentences for a book on Germany


When the first news of the mass murders of Jews reached the town and everybody was of the opinion that this was exaggerated, since it could never have been as bad as that, and yet everybody knew quite well that all of this was real, that none of those immense figures, none of those gruesome methods and refined techniques which one had heard about were exaggerated, that all of this had really taken place, since it could on no account have been otherwise, and that it was therefore no longer possible to discuss whether there might not have been milder, more humane ways, perhaps no longer banishment, now during the war, but rather guaranteed reserves with self-rule and so forth, when the time had come for utter silence, when one had already withdrawn into silence, away from who knows who and who knows what, feeling no longer a resentment rising up against anything, taking part only in superficial small talk, alternating between a casual stereotyped joke and an emotional-solemn feeling of being involved in an existential struggle of mythical proportions, against one’s own free will, this granted, when this stage had been reached by all those who were running around free in Germany and continuing with their free life, under the more difficult circumstances of war, this granted, when they had managed to come thus far – which does not say very much, because so far they had always managed to cope seeing that they had things pretty well under control by now, when thus everything was as it had always been, when this was the case, bells were ringing – for nothing out of the ordinary: for the wedding of a brain damaged man, who on account of his military decorations as chief lieutenant of the pioneer troops could not be denied this wish, having been declared fit for garrison duty but provisionally placed on leave for the next few years, and his bride, the nurse Erika, who with her own hands, had cut him loose when he tried to hang himself from a window frame in the Sanatorium, and whom he on the eve of his wedding day then strangled, apparently in a bout of mental disturbance, which also does not say much about his condition, because being mentally disturbed had been his official status in any case, that is for the past two years, after his injury.

This one then for the past two years, the other one since when ?




Les Allemands écriraient-ils la troisième phrase de ce livre de l'Allemagne ?

Les Mille et Une Nuits -- Miguel Gomes




Le manuscrit trouvé à Saragosse a enfin un rival au cinéma ! Et même trois car c'est de trois films qu'il s'agit ...




Allez voir, entre autres, un coq jugé pour tapage nocturne se défendre en racontant un roman d'amour épistolaire contemporain (donc en sms), sur fond d'incendies et d'élections locales dans un Portugal ravagé. Ou l'histoire de Dixie, le chien qui traverse et illumine trop brièvement la vie de ses maîtres successifs.




Et en prime une reprise de "Chaos is my life" (The Exploited, sur Fuck the system (2002)) !


"dem Chaos entkommen für den Zug eines Atems."











SAPPHO

Sappho, Freundin, Träume der Mädchen deine
Lieder : goldne Nägel im Bogentore 
dieser nacht, die dein war und die die unsre
ist und unendlich.

Gönnst dem Länderfremden an deines Verses 
Stufe eine Zeit, ein Verweilen ; sieh, er 
taumelt fort, dem Chaos entkommen für den 
Zug eines Atems.






SAPPHO

Sappho, amie, ces rêves de jeunes filles
tes chants : clous d'or dans le portail voûté
de cette nuit, qui fut tienne et qui est
nôtre et à l'infini.

Tu offres à l'étranger en errance, sur les marches
de ton vers, un instant, un séjour ; regarde, il
repart en titubant, sauvé du chaos
le temps d'un souffle.


(in Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore,
traduit par Ralph Dutli et Antoine Jaccottet
Orphée/La Différence)