mardi 22 août 2017

Fables of Faubus -- Charles Mingus

A force d'en écouter des versions strictement instrumentales, on en oublie que ce morceau avait des paroles (à écouter sur l'album Mingus Ah Um, 1959) :

Oh, Lord, don't let 'em shoot us!
Oh, Lord, don't let 'em stab us!
Oh, Lord, no more swastikas!
Oh, Lord, no more Ku Klux Klan!

Name me someone who's ridiculous, Dannie
Governor Faubus!
Why is he so sick and ridiculous?
He won't permit integrated schools
Then he's a fool!

Boo! Nazi Fascist supremists!
Boo! Ku Klux Klan (with your Jim Crow plan)

Name me a handful that's ridiculous, Dannie Richmond
Faubus, Rockefeller, Eisenhower
Why are they so sick and ridiculous?
Two, four, six, eight:
They brainwash and teach you hate
H-E-L-L-O, Hello






Tant qu'on y est, rappelons que la statue du Général Lee à Charlottesville dont le retrait a provoqué les tragiques manifestations que l'on sait fut érigée en 1924, moins en commémoration de la Guerre de Sécession , donc, elle était finie depuis presque 60 ans,  qu'en réaffirmation de la volonté ségrégationniste, volonté qui, soit dit en passant, débordait alors bien au-delà des seuls états confédérés. 
C'est tout simplement un monument aux lois ségrégationnistes qu'il s'agit de déboulonner et, d'ailleurs, les suprémacistes de tout poil ne s'y sont pas trompé et n'ont pas cherché, eux, à camoufler les raisons de leur défense de la statue derrière "l'Histoire" et le respect qui lui serait due !

jeudi 17 août 2017

Charte 77


Juste pour mémoire, en lien avec le post précedent, le joli dessin d'Ivan Steiger :

Odwagę motylku !



Douze femmes à Prague -- Eva Kantůrková


Pour éviter de galvauder le mot de résistance, on peut rechercher ce livre d'une signataire de la Charte 77 (dont on a semble-t-il fêté le 40ème anniversaire avec une discrétion lourde d'arrière-pensées) qui interrogeait à Prague douze autres femmes engagées dans la résistance à la normalisation ; ces entretiens eurent lieu fin 1979 et début 1980.


Le livre fut traduit et publié par Maspéro dès 1981 (édition soignée, avec une notice biographique des principaux acteurs de la Charte 77 ; à cette aune, l'absence toujours un peu gênante des signes diacritiques n'est qu'une vétille), avec l'ajout de brefs entretiens en janvier 1981 avec deux des participantes qui avaient entre temps émigré. 

J'en extrait cet échange avec Zdena Tominová :

J'ai été porte-parole de la Charte 77 de février 1979 jusqu'au début 1980, d'abord en compagnie de Vaclav Benda et de Jiri Dienstbier, puis, après leur arrestation et leur emprisonnement, avec le professeur Jiri Hajek et Ladislav Hejdanek. A compter de 1977, Julius (mon mari) a mené durant trois ans pleins ses entretiens philosophiques hebdomadaires avec des jeunes dans notre appartement (puis dans l'appartement d'Ivan Dejm après une période de six mois pendant laquelle notre appartement fut gardé par des policiers en uniforme vingt-quatre heures sur vingt-quatre). Nous avons surtout "bénéficié" de l'intérêt accru de la Sécurité d’État à partir de mi-79, dans toute la richesse de la palette dont elle dispose : des "entretiens" jusqu'au terrorisme flagrant, en passant par des arrestations prétendument légales, des chicaneries, des violences, la surveillance et l'accompagnement policier obligatoire et même une tentative d'usage abusif d'internement psychiatrique. A l'époque, il ne me serait même pas venu à l'idée d'envisager de partir : des membres du VONS (ndlc : Comité pour la défense des personnes injustement poursuivies, voir ici) étaient en prison, ils attendaient de passer en jugement, ils étaient condamnés, ils interjetaient appel ... j'avais à faire du matin au soir ; il ne s'agissait pas de moi, mais du sort de mes courageux amis et d'une certaine façon aussi de celui de la Charte 77 ... Ce n'est qu'au printemps 80, alors que je n'étais plus porte-parole de la Charte 77 - Rudolf Battek avait pris ma place en février, mais depuis l'été dernier il est en détention préventive sur la base d'une accusation montée de toutes pièces -, que j'éprouvai une fatigue extrême, de nombreux doutes quant à ma participation ultérieure au mouvement en faveur des droits de l'homme, une certaine dépression devant la faiblesse de mes propres forces ... et une stérilité en tant qu'écrivain.

et ceci qui clôt le livre :

Oui, je voudrais encore ajouter un mot à l'attention des lecteurs français : sans oublier pour autant qu'en Tchécoslovaquie Vaclav Benda, Jiri Diensbier, Vaclav Havel, Petr Uhl, Rudolf Battek, Petr Cibulka et d'autre citoyens sont emprisonnés uniquement à cause de leur attitude civique et de leurs opinions politiques, qu'un millier de signataires de la Charte 77 continuent leur combat incessant, fatiguant et risqué pour les droits civiques et humains dans une société socialiste, accordez votre appui au peuple polonais. Je crois que la Pologne vit aujourd'hui la tentative de rénovation d'une société socialiste la plus importante qui ait jamais existé ... ou peut-être même la première révolution non sanglante née dans la tête des ouvriers et des paysans, sans avant-garde de bureaucrates et d'orateurs professionnels ...



De Eva Kantůrková, on ne peut trop recommander aussi la lecture de Les amies de la maison triste, paru en 1984, en tchèque (aux éditions Index, en Allemagne) puis en anglais (aux éditions The Overlook Press, 1987) et en français (aux éditions l'Age d'Homme, 1991), livre si injustement oublié, qu'on a pu, à juste titre, comparer à Une journée d'Ivan Denissovitch.
 

mercredi 16 août 2017

L'Odyssée d'un olivier


Tout le monde descend !
 


On monte ...



... on souffle un instant ...



... et on plonge !



Home, sweet home ...



Fuck work -- James Livingston


(une affiche de 1943)

 Cela fait du bien de le voir écrit tout simplement :

Most jobs aren’t created by private, corporate investment, so raising taxes on corporate income won’t affect employment.

Le reste est à lire ici.

Prélude des origines -- Georges Ribemont-Dessaignes



 
De qui es-tu né, poète? Du temps et de l’espace,
Sans commencement ni fin,
Sans père ni mère,
Comme une source au jardin des origines,
Demande-t-on quelle est sa naissance?
Et cette eau qui sourd de la fin première,
O fontaine de la mémoire, fontaine du grand centre
De la terre,
Es-tu née, toi aussi, qui coules sur les cailloux blancs du souvenir,
De ce qui était sans être, avant le savoir
De l’existence?

Te voici volute enroulée comme une couleuvre
Délovée en marée amie du soleil et de la lune
Et bientôt retirée sous la main qui se baigne
Et le pied qui s’aventure
Pour marcher sur les eaux.
De qui je suis né? Du vent peut-être,
Du grand vent sans trêve ni domicile,
Né lui-même des horizons que jamais n’atteignent
Ni la main fardée de flatterie,
Ni le pied du voyageur qui pour les mieux apaiser
Déguise sa marche en danse et sa danse en vol,
Du grand vent à la crinière de cavale,
Aux doigts de feuilles mortes,
Au cri d’oiseau migrateur,
Au sommeil sans repos dans l’ombre des cheminées,
Au regard de fumée,
A l’amour cruel des soleils d’été
Dans les grandes vallées,
Séchant le sang des meurtres et les larmes des deuils
Sur les pierres, sur la sueur et la poussière…

Ou peut-être es-tu né de la nuit ou du feu?
Il est vrai que j’ai vu les troupeaux de la transhumance
Dormir sur une place aux ténèbres de paix,
Tandis qu’aux coins sombres abandonnés par les hommes
Resplendissait l’infime miracle des vers luisants.
Il est vrai que j’ai vu sur les bancs de la solitude,
Sous le lent virement du zodiaque,
Se nouer les mains, se mêler les souffles
Et s’ouvrir des cœurs d’où tombait goutte à goutte
Une plainte déchirante et divine.
Il est vrai que j’ai vu danser le feu à la pointe des herbes,
Courir sur les collines et jouir des mystères en fuite,
Veiller comme l’amour sous le souvenir
Dans l’âtre du silence,
Et j’ai respiré avec ivresse les cendres d’un univers en transe
Tordu dans les délices du suicide et les délires
Jaillis de son souffle, avec la flamme qui le dévore
Et dont il nourrit sa faim de trônes, de contrées et de sang
Jusqu’à ce que, seul, il vomisse ses os, la ponce et le soufre
Et la cendre de sa puissance,
Il est vrai aussi que dans quelque eden de l’insouciance
J’ai vu dans les parfums nocturnes s’allumer les lucioles,
Feux follets de l’absence et du manque,
O rêve nonchalant où rejoindre à doux cris le silence.

Mais peut-être suis-je né de la terre,
Suis-je sorti entre les jambes de la terre,
Comme une herbe, un grillon, une pierre,
Comme un écho jadis oublié dans un puits
Et germant tout à coup quand monte la sève
Et s’exhalant, soupir promis à la rosée,
Virtuelle liane aspirée par les étoiles
Hors de ton sein, poids de mon cœur, ô ma terre.
Mais voici que je me balance entre deux forces
Et danse comme un éphémère
Pour un jour éternel,
Pour l’amour éternel,
Comme un joyeux et léger éphémère
Pour la vie éternelle,
Pour la mort éternelle.
Oh muette soit la question qui se pose!
Frères, je suis, mais je ne suis pas né.




in Georges Ribemont-Dessaignes, Ecce Homo, Poésie/Gallimard 
Le recueil Ecce Homo est paru en 1945.

jeudi 10 août 2017

Déjà jadis -- Georges Ribemont-Dessaignes (1884 - 1974)


Le sous-titre de ce livre paru en 1958 le résume : avec De Dada à l'abstraction, Ribemont-Dessaignes repasse l'histoire de la première moitié du vingtième, comment le Surréalisme, qui ne se voulait pas Art mais Libération, en est venu à combler dans la société bourgeoise le trou que Dada y avait creusé, récit sans complaisance mais évitant toujours de tomber dans les procès ad hominem dont l'avant-guerre ne fut pas avare. Ainsi, son point de vue critique sur André Breton reste toujours très mesuré, à des lieues du ton de Un Cadavre ... dont il fut un des instigateurs et premiers signataires !



Crouch, Shadow sings


Son point de vue sur l'évolution contemporaine (on est en 1958 mais à l'âge de l'enlisement, comment s'étonner qu'on puisse encore lire ce texte comme contemporain ?) n'aurait pas surpris René Daumal, son camarade du Grand Jeu :


Le mouvement abstractivant ne pouvait se poursuivre que dans l'absence de l'alternative beau-laid. Un tachisme élargi (...) doit exercer son action en dehors de toute appréciation esthétique les formes, également délestées de toute appréciation objective et esthétique, doivent jouer entre elles avec assez de vigueur pour faire naître une expression où, nulle idée n'étant en cause, ni aucune figuration d'objet nommable, c'est alors le concret posé sur la toile qui est l'élément moteur. Ceci paraît tout à fait paradoxal, peut-être, mais répond aux exigences du renouvellement en cours, s'il veut sortir du marasme confus et morne dans lequel il menace de s'enliser.
Ce n'est pas sans raison qu'au sujet d'une motivation de l'emploi des taches j'ai parlé de sordidité et de décrépitude : elles sont à la base de la ruine de l'esthétique. De même que la loi de la dégradation de l'ordre universel conduit au parfait désordre, lequel est en somme l'équivalent du silence total de toute volonté d'ordre pouvant coïncider avec l'Art tel qu'il est conçu par toutes les philosophies esthétiques. L'Art ne peut plus se renouveler qu'en étant absence d'ordre. Mais attention ! il faut insister sur le fait que cette absence d'ordre, ce parfait désordre ou ce désordre absolu, comme on voudra, deviennent entre les mains humaines de simples facilité de construction nouvelle. Faire un joli tableau constitué par des taches sans signification est probablement plus facile, car il y a des siècles que l'habitude de construire est prise avec n'importe quoi. Pourquoi pas avec des taches ? Et puis, qu'est-ce que le complet désordre atteint par la loi de dégradation ? c'est l'absence de vie, en tout cas. Absence de vie est aussi absence d'art. Voilà pourquoi de cet amas confus de considérations jetées pêle-mêle dans le combat doit surgir une arrière-pensée, semblable à une arrière-garde qui ne peut pas ne pas intervenir : au point où nous sommes arrivés, il faut saisir le moment où du parfait repos dans le désordre se présente la vie dans son premier mouvement, la vie à l'état naissant.
Peut-être est-ce fort difficile. Et peut-être aussi peut-on avec peine distinguer l'état naissant de l'état mourant. N'oublions pas que pour connaître le parfait repos du désordre suivant la dégradation universelle, il faut suivre cette dégradation universelle pas à pas, degré à degré, c'est-à-dire vivre soi-même dans une atmosphère de ruine, dans la poussière de l'érosion dernière ... Si l'on saisissait au contraire un point situé par-delà le plus bas de ce repos, c'est-à-dire dans un de ces moments cycliques de reprises d'ascension trompeuse (il est bien difficile d'imaginer que le parfait désordre est atteint puisque nous sommes vivants et que la vie est ordre), on courrait le danger de prendre comme matériel quelque chose de déjà existant, déjà vivant, déjà organisé, un morceau d'art. Et on se retrouve dans le travail à la chaîne, avec l'esthétique et tout le saint frusquin ... C'est ainsi que l'art a si souvent pensé à se régénérer grâce à un bain de jouvence, à l'ascétisme, au primitivisme, à la naïveté. On sait ce que cela donne.
Il faut donc aborder la chaîne à l'extrémité de sa voie descendante. Chercher par soi-même le point de désordre absolu, de la mort sans phrase, là où ne subsiste plus pour l'art aucune possibilité d'exister, où il est détruit dans ses moyens comme dans ses sources, puis ... puis, c'est là l'homme qui parle, c'est à l'homme qu'il faut faire confiance, et à son appétit de vie et à sa faim, sa soif, son amour. C'est à chacun de saisir le point de vie naissante où il peut s'exprimer pour le premier balbutiement et de le fixer. On verra que cette fois la signification des formes employées se précisera, qu'elles seront naturellement expressives. Et qu'enfin l'abstraction aura cessé d'être simplement un refroidissement progressif de la chaleur humaine, et que de nouveau l'art sera prêt à prendre un nouveau départ pour le peuplement de vaste contrées désertiques et improductives : en vérité on oubliera qu'il est art. Il ne sera plus qu'expression. Il sera un nouvel univers dans un miroir.



(in Georges Ribemont-Dessaignes, Déjà jadis, De Dada à l'abstraction, UGE 10/18, 1958)

Une stupidité comme le monde n'en a encore jamais connu


La première phrase du 18 Brumaire de L. Bonaparte est dans toutes les mémoires :

Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l'oncle. 
 

S'il revenait, Marx pourrait ajouter Trump pour Truman ...

"They may expect a rain of ruin from the air, the likes of which has never been seen on this earth ..." (Harry Truman, 6 août 1945) ; voilà pour la tragédie :


Yosuke Yamahata
Un dessin du photographe qui a fixé pour l'Histoire les ravages à Nagasaki, dessin qui pourrait figurer à côté de la série Nous ne sommes pas les derniers de Zoran Music.
Les photos de Yamahata sont célèbres, terribles, trop célèbres, trop terribles ; elles ne devraient être vues qu'en un lieu de recueillement et non affichées à la diable sur un blog.


Et pour la farce, "And if North Korean threats continue, they will be met with fire, fury, and frankly power the likes of which this world has never seen before." (Donald Trump, 8 août 2017)

Toutes les farces ne sont pas drôles ; ici, c'est un clown qui a le doigt sur le bouton.