mercredi 15 janvier 2020

Etres de crépuscule -- Roger Caillois


Il y a quelque chose d'infiniment mélancolique à vouloir d'un monde qui ne voudra pas de nous.

Ceux de ma génération (ceux qui ne s'attarderont plus exagérément ...) qui comprennent les enjeux du changement climatique sont dans cette position : le monde que nous habitons (laissez tomber Heidegger, lisez au sens courant, c'est bien suffisant) est le seul que nous sachions habiter et pourtant nous le savons condamné, ou plutôt nous savons qu'il nous faut, nous aussi, le condamner, malgré la double haie de sarcasmes, de ceux qui nous rappellent que le monde que nous appelons de nos vœux nous sera inhabitable (merci, on est au courant ; nous n'habiterons pas ce monde, en réalité, c'est entendu, et oui, ce serait facilité que de souhaiter pour ceux qui nous suivent un monde dont nous ne voudrions pas ... à ceci près que ce monde dont, effectivement, nous n'avons pas voulu pendant trop longtemps, eux, le veulent), de ceux qui nous reprochent d'avoir habité et donc construit ce monde (et à qui notre engagement sonne "trop peu, trop tard").

Longtemps, je n'ai trouvé nulle part de description pertinente de cette infinie mélancolie. Si vous voulez en avoir une description tellement plus fine que ce qui précède, lisez ce très bref texte de Caillois, republié chez Fata Morgana (2016).

Ce texte parut en espagnol, dans la revue SUR, en décembre 1940, puis en français dans la revue Labyrinthe, en décembre 1945, avant d'être repris dans Le rocher de Sisyphe en 1946 chez Gallimard