lundi 26 mars 2018

Lettres à Essénine (27) -- Jim Harrison


27

I won my wings ! I got all A's ! We bought fresh fruits ! The toilet broke ! Thus my life draws fuel ineluctably from triumph. Manic, rainy June slides into July and I am carefully dressing myself in primary colours for happiness. When the summer solstice has passed you know you're finally safe again. That midnight surely dates the year. "Look to your romantic interests and business investments, "says the star hack in the newspapers. But if you have neither ? Millions will be up to nothing. One of those pure empty days with all the presence of a hole in the ground. The stars have stolen twenty-four hours and vengeance is out of the question. But I'm a three-peckered purpel goat if you were tied to any planet by your cord. That is mischief, an inferior magic ; pulling the lining out of a top hat. You merely rolled on the ground moaning trying to put that mask off but it had grown into your face. "Such a price the gods extract for song to become what we sing," said someone (*, NDLC). If it aches that badly you have to take the head off, narrow the neck to a third its normal size, a practice known as hanging by gift of the state or as a do-it-yourself project. But what I wonder about is your velocity : ten years from Ryazan to leningrad. A little more than a decade, two years into your fifth seven and on out like a proton in ana accelerator. You simply fell of the edge of the world while most of us are given circles or, hopefully, spirals. The new territory had a wall which you went over and on the other side there was something we weren't permitted to see. Everyone suspects it's nothing. Time will tell. But how you preyed on, longed for, those first ten years. We'll have to refuse that, however its freshness in our hands. Romantic. fatal. We learn to see with the child's delight or perish. We hope it was your vision you lost, that before those final minutes you didn't find out something new.



27

J'ai décroché le gros lot ! Je n'ai eu que des A ! Nous avons acheté des fruits frais ! Les toilettes sont cassées ! Ainsi ma vie s'enrichit-elle inexorablement de triomphes. Juin infernal et pluvieux laisse place à juillet et je m'habille de couleurs primaires pour le bonheur. Une fois passé le solstice d'été, tu sais que tu es de nouveau enfin en sécurité. Ce minuit divise sûrement l'année. "Surveillez les êtres chers et vos intérêts financiers", conseille le plumitif vedette du journal. Mais quand on n'en a pas ? Des millions réduits en poussière. L'une de ces pures journées vides à la présence discutable d'un trou dans le sol. Les étoiles ont volé vingt-quatre heures et toute vengeance est exclue. Mais je suis une chèvre pourpre à trois queues si ta corde t'a reliè à une planète quelconque. C'est une arnaque, une magie inférieure : autant arracher la doublure d'un haut-de-forme. Tu te roulais par terre en gémissant et en essayant d'arracher ce masque, mais il te collait au visage. "Quel prix les dieux exigent-ils pour que la chanson devienne ce que nous chantons !" a dit quelqu'un (*, NDLC). Puisque ça fait si mal, il faut se débarrasser de la tête, rétrécir le cou au tiers de sa taille normale, une pratique nommée pendaison par voie de conséquence directe ou projet-à-réaliser-soi-même. Mais ce qui m'étonne chez toi, c'est ta vélocité : dix ans de Riazan à Leningrad. Un peu plus d'une décennie, deux ans dans to cinquième septennat et te voilà lancé comme un proton dans un accélérateur.Tu es simplement tombé par-dessus le rebord du monde quand la plupart d'entre nous recevons en partage des cercles ou, dans le meilleur des cas, une spirale. Le nouveau territoire avait un mur, que tu as franchi, et de l'autre côté se trouvait une chose que nous n'avions pas le droit de voir.Chacun soupçonne que ce n'est rien. Le temps le dira. Mais comme tu as prié, désiré, ces dix premières années. Il nous faudra refuser cela, malgré toute sa fraicheur entre tes mains. Romantique. Mortel. Nous réapprenons à voir avec le ravissement de l'enfance, ou nous périssons. Nous espérons que c'est ta vision que tu as perdue, qu'avant ces dernières minutes tu n'as rien trouvé de nouveau.


in Jim Harrison, Lettres à Essenine, bilingue, traduit par Brice Matthieussent, Titre 198, Christian Bourgois



(*, NDLC)

La citation exacte (et très célèbre) est la suivante :

(...) . Such a price
The gods exact for song :
To become what we sing.

Matthew Arnold (1822 – 1888), The Strayed Reveller

Un signe de ponctuation vous manque et tout est déplacé ! Dans la version originale, le résultat est simplement ambigu mais la traduction s'écarte franchement de la citation originale. C'est d'autant plus curieux que la suite (le masque que l'on ne peut plus arracher ...) militerait pour coller au sens voulu par M. Arnold ...

Il y a plein de choses qui me chiffonnent un peu dans cette traduction : "plumitif vedette" pour "star hack" (qui me semble plutôt viser l'horoscope) ; "Les étoiles ont volé vingt-quatre heures" ... elles auraient mieux fait de les "dérober"; "hanging by gift of the state" traduit par "pendaison par voie de conséquence directe" ... une collection de trous d'air regrettables, un peu comme si la traduction avait quitté le registre poésie pour passer en mode article de presse.