Le livre qui m'aura convaincu qu'on pouvait être mathématicien et philosophe, à une époque où les bateleurs du chaos, des catastrophes, de l'émergence, de l'auto-organisation (critique ou non !) et, pour les plus hardis, de la "computation at the edge of chaos" avaient pratiquement achevé de me persuader que ceux qui affichaient cette double prétention étaient à fuir comme la peste.
Un livre qui a maintenant plus de 20 ans. On dirait facilement "qu'il n'a pas pris une ride" en se félicitant de l'avoir lu à sa sortie. Mon point de vue est un peu moins auto-satisfait: oui, en effet, ce livre n'a pas pris une ride, mais nous, qui l'avons lu à sa sortie, si; et ce monde dont Gilles Châtelet dénonçait l'avènement et dégageait si bien les lignes de constitution, il est maintenant là, advenu, obscène. Pas de quoi pavoiser, même si des résurgences redonnent parfois espoir au milieu de ce vaste désert d'acceptation béate de l'obscénité qui semble constituer l'essentiel du champ intellectuel.
En exergue cette citation de Gilles Deleuze et Félix Guattari (Qu’est-ce que la philosophie ?):
« Les droits de l’homme ne nous feront pas bénir le capitalisme. Et il faut beaucoup d’innocence, ou de rouerie, à une philosophie de la communication qui prétend restaurer la société des amis ou même des sages en formant une opinion universelle comme « consensus » capable de moraliser les nations, les Etats et le marché. Les droits de l’homme ne disent rien sur les modes d’existence immanents de l’homme pourvu de droits. Et la honte d’être un homme, nous ne l’éprouvons pas seulement dans les situations extrêmes décrites par Primo Levi, mais dans des conditions insignifiantes, devant la bassesse et la vulgarité d’existence qui hantent les démocraties, devant la propagation de ces modes d’existence et de pensée-pour-le-marché, devant les valeurs, les idéaux et les opinions de notre époque. L’ignominie des possibilités de vie qui nous sont offertes apparaît du dedans. Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. Nous ne sommes pas responsables des victimes, mais devant les victimes. Et il n’y a pas d’autre moyen que de faire l’animal (grogner, fouir, ricaner, se convulser) pour échapper à l’ignoble : La pensée même est parfois plus proche d’un animal qui meurt que d’un homme vivant, même démocrate. »
Ci-dessous, l'avant-dernier chapitre, choisi pour sa résonance particulière avec l'actualité économique récente, ... et parce que je n'envisage pas de mettre en ligne le livre dans son intégralité ! (*)
Il est aisément disponible en folio/actuels.
(*) note du 13/11/2014
L'intégralité du livre est en ligne, ici !
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