Diese Jahrtausende
geblasen vom Atem
immer um ein zorniges Haupwort kreisend
aus dem Bienenkorb der Sonne
stechende Sekunden
kriegerische Angreifer
geheime Folterer
Niemals eine Atempause wie in Ur
da ein Kindervolk an den weissen Bänden zog
mit dem Mond Schlafball zu spielen -
Auf der Strasse mit Windeseile
läuft die frau
Medezin zu holen für das kranke Kind
Vokale und Konsonanten
schreien in allen Sprachen :
H i l f e !
Ces siècles
poussés par le souffle
qui toujours tournoient autour d'un maître-mot courroucé
secondes échappées pour piquer
de la ruche du soleil
agresseurs belliqueux
tortionnaires secrets
Jamais il n'y eut pause dans le souffle comme à Ur
où un peuple d'enfants tirait sur des rubans blancs
pour jouer à la balle-sommeil avec la lune -
Dans la rue avec la hâte du vent
la femme court
chercher un remède pour son enfant malade
Consonnes et voyelles
crient dans toutes les langues :
a u s e c o u rs !
(in Nelly Sachs
Eli, Lettres, Énigmes en feu
traduit par Martine Broda
Belin:, 1989)
Je respecte l'édition allemande de Glühende Rätsel (in Nelly Sachs, Späte Gedichte, Surhkamp, 1965) pour l'espacement des lettres du dernier vers qui semble avoir échappé aux éditeurs français et je me permets de corriger de même la traduction.
Ur et Abraham (Genèse 12) sont des thèmes récurrents chez Nelly Sachs ; Ur, son gigantisme (Babel), sa sauvagerie (Nemrod) y apparaissent sous deux aspects : comme image de l'Allemagne nazie, ou comme image de l'endormissement dans le culte de Sin (la Lune) étranger à l' "appel de l'ouvert", au solaire :
Venu de la cité chaldéenne d’Ur, Abraham
y apparaît de façon insistante comme le paradigme de l’origine :
origine géographique, bien sûr, mais aussi et surtout point de départ
d’un processus dynamique de transformation et de transmission. Il se
présente comme celui qui, s’arrachant au refuge clos de l’origine,
élargit l’espace de sa demeure aux dimensions de l’univers et « risque »
le temps et l’Histoire. Ce « pas dans l’ouvert » est de l’ordre de la
Révélation, de l’irruption soudaine d’un appel venu de l’Infini.
(in Blandine Chapuis, « Souviens-toi de ton futur » : la poésie de Nelly Sachs (1891-1970), entre remémoration et rédemption , Germanica
[Online], 33 | 2003)
Il
n'y a qu'une leçon, dit le rêve. La leçon de la graine. Début et fin
est une leçon sans graine. Pouvoir s'étendre pour dormir, profondément
enfouie dans la terre du deuil, la terre de l'amour, de la nostalgie, du
regret, dans les tourments de se trouver "autrement" allongée. Ceux qui
se sont étendus si profondément dans le sommeil. Si profondément. Comme
Abraham noyé sous les fanatiques de la lune dans la nuit chaldéenne fut
recueilli dans les coupes magiques des pentagrammes qui s'ouvrirent
pour le laisser sortir. Comme elle dort profondément, la pierre sous sa
couverture de mousse, si profondément qu'à la fin elle sait user du feu
comme du sang.
(in Nelly Sachs, Lettres en provenance de la nuit, Allia, 2010)
In
the second strophe [du poème ci-dessus], Sachs makes reference to the
city of Ur. Ur may be considered a primeval symbol of totalitarianism
during the reign of the tyrannical King Nimrod, who ordered the building
of the tower of Babel as a hubristic act of defiance against God. In a
letter to Walter Berendsohn, in which Sachs discussed her use of this
figure for her proposed drama Abram im Salz (1944), she describes him as
"Jäger" and "Gestalt des Unholdes unserer Zeit". The allusion to moon
worship contained in the curious reference to the "Kindervolk" playing
"Schlafball" may as Shanks interestingly points out, be an allusion to
those who opted for "an attitude of sleepy resignation to tyranny" in
the ancient city. This reference may thus be read as analogous to the
German populace's unquestionning acceptance of the tyranny of
National-Socialism. It may be an allusion, in other words, to the
idolatry rampant in the ancient city and the subsequent uncritical,
deadly worship of National Socialism.
(in Elaine martin, Nelly Sachs : The poetics of silence and the limits of representation, de Gruyter, 2011)
Rien ne dépend ici d'une polarité qu'on accorderait à ce "souffle" qui pousse les siècles : le "pas dans l'ouvert" et la grandeur tragique de l'Ange de l'Histoire sont les deux faces d'une même médaille. Il ne faut pas s'y tromper, si rien dans la seconde strophe n'autorise une interprétation nostalgique de la "pause du souffle" en Ur, tout le poème témoigne aussi de la violence de ce souffle.
Où on retrouverait d'ailleurs en passant Paul Celan : Au gré du vent qui te pousse en avant,
/ s'enroule autour du mot la neige