mercredi 29 avril 2015
A propos de centenaire ...
... la dernière phrase de The Angel of History, le poème qui ouvre le recueil éponyme de Carolyn Forché :
Are the present hundred years a long time ? But first see whether a hundred years can be present.
(in Carolyn Forché, The Angel of History, Harper Perennial, 1994)
jeudi 23 avril 2015
Processional -- Joanna Klink
Antelope canyon
(source)
If there is a world, let me be in it.
Let fires arise and pass. The sky fill with evening air
then sink across the woodlots and porches,
the streams thinning to creeks.
In winter there will be creatures half-locked in ice,
storms blow through iron gates, a drug of whitest ardor.
Let the old hopes be made new.
Let stacks of clouds blacken if they have to
but never let the people of this town go hungry.
Never let them fear cold. If there is a world,
let it not be temporary, like these vague stars.
Let us die when we must. And spinelessness
not overtake us, and privation,
let rain bead across tangled lavender plants.
If there is a world where we feel very little,
let it not be our world. Let worth be worth
and energy action - let blood fly up to the surface skin.
If you are fierce, if you are cynical, halfhearted, pained -
I would sit with you awhile, or walk next to you,
and when we take leave of each other after so many years,
the oaks will toss the branches in wheels of wind
above us - as if it had mattered, all of it,
every second. If there is a world.
in Joanna Klink, EXCERPTS from a SECRET PROPHECY, Penguin Poets, 2015
Processional est le dernier poème du nouveau recueil de Joanna Klink, station finale d'un chemin menant des décombres, le recueil s'ouvre sur I brought what I knew about the world to my daily life / and it failed me , à la possibilité d'un monde : Let the old hopes be made new dépasse le rejet initial du volontarisme d'un Eliot, neither do I trust / that to make an end is to make a beginning (référence à Little Gidding, opportunément indiquée dans les notes du recueil), sans s'y soumettre ; quelque chose de nouveau apparaît chez Joanna Klink dans ce recueil, un troisième terme entre soi et le monde, ou plus précisément entre toi/moi et le monde : les autres, tous les autres, forment le troisième terme qui permet d'au moins supposer un monde, de s'y bâtir une place, ainsi que l'annonce la citation de The Waves mise en exergue, Now let us issue from the darkness of solitude , et ce faisant de le faire exister.
Peu d'auteurs ont la capacité de faire advenir ce qu'elle décrit dans les derniers vers ci-dessus ; cela ne fait certes pas tant d'années que je chemine avec ses livres mais, les chênes m'en soient témoin !, chaque instant, chaque ligne en valaient la peine, car il y a bien un monde, celui que, livre après livre, Joanna Klink dévoile.
C'est un peu curieux de choisir une photo du célèbre Antelope Canyon, Arizona, pour accompagner (non, pas pour illustrer !) le poème d'un auteur aussi lié que Joanna Klink aux atmosphères bien différentes du Montana. C'est pourtant ce type d'image qui s'impose à moi pour évoquer sa poésie : la faille, l'évidement, l'abrasion, la montée inéluctable du "flash flood" et la patiente action du vent.
jeudi 16 avril 2015
Igitur I -- Vladimir Holan
A force de fréquenter Hamlet, il était fatal que Vladimir Holan croise aussi son double mallarméen !
Igitur I
Aby jeho samota mohla
mluvit, musila by
znát mlčení.
Aby souzvuk vybíral si
z toho, co předcházelo,
nesměla by hlava jeho plodů
odsuzovat kořen pohlaví.
Ale on zrovna dnes
odřekl se života, aby
byl tím, čím zůstane
v zaniknutí...
in Vladimir Holan,
Předposlední,
1968 - 1971
Igitur I
Pour que sa solitude puisse
parler, il faudrait
qu'elle connaisse le silence.
Pour que l'harmonie choisisse
au sein de l'antécédent,
il ne faudrait pas que la tête de ses fruits
renie la racine du sexe.
Lui cependant a renoncé,
aujourd'hui même, à la vie pour
être celui qu'il restera,
devenu néant...
in Vladimir Holan,
Pénultième,
traduit par Erika Abrams,
Orphée / La Différence 1990
Igitur I
Perché la sua solitudine
possa parlare, dovrebbe
conoscere il silenzio.
Perché l’armonia scelga
tra quel che precedette,
non dovrebbe la testa dei suoi frutti
condannare la radice del sesso.
Ma lui oggi intanto
ha rinunciato alla vita per
essere quel che rimarrà
nell’estinguersi...
in Vladimir Holan,
ADDIO ?,
traduit par Vlasta Fesslová
et Marco Ceriani,
Arcipelago 2014
mercredi 15 avril 2015
Carnets de thèse -- Tiphaine Rivière
Cela vient de sortir et tous les doctorants devraient se voir fournir un exemplaire ... un peu avant l'inscription.
Cette planche-là, j'en pleure encore :
mardi 14 avril 2015
Rue involontaire -- Sigismund Krzyzanowski
À six longs coups de sonnette
4e étage, gauche
4, rue Tverskaïa, ou peut-être 3
J'ai fait votre connaissance en suivant le zigzag de votre escalier étroit et plutôt obscur. Sur la plaque d'entrée, sur un fond blanc encadré de rouge, figurait votre nom, inscrit tout en bas. Pardonnez-moi, mais je l'ai oublié. Je me souviens seulement que vous, c'est six longs coups de sonnette. C'est déjà une information ! Le premier coup de sonnette, de préférence bref, est accaparé par le locataire le plus respectable de l'appartement. En général, un enchef, un homme à cartable. Il n'a pas le temps d'écouter et de dénombrer les sonneries. Dès que le premier coup métallique lui heurte l'oreille, il cesse de compter et retourne à ses chiffres et à ses rapports. L'homme aux deux coups de sonnette, lui, n'est pas un être à cartable, mais un adjoint au cartable. Il est respectable grosso modo, il bénéficie d'une ration ipso facto, mais il travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qu'il dorme ou qu'il veille. Alors que le locataire aux six coups de sonnette ne compte pas. C'est un homme qui pâtit patiemment. Rien de plus. Et je sais que vous, qui comptez avec patience vos six sonneries, vous êtes si docile que vous tournerez jusqu'au dernier feuillet cette lettre indésirée. Au fond, c'est tout ce qu'il me faut. Être entendu.
Voilà comment j'ai contacté cette étrange maladie qu'on pourrait appeler épistolomanie. C'était il y a deux ans, quand la vodka suscitait de longues et soudaines files d'attente, et qu'on nous rendait la monnaie en timbres-poste. Je bois. À cause de quoi ? me demanderez-vous. Un regard trop sobre sur la réalité. Je suis vieux - j'ai les cheveux filasses et les dents jaunasses - et la vie est jeune, donc, il faut me laver, comme une tache, m'effacer avec de la vodka. C'est tout.
Comment je commence mes matinées ? Levé de bonne heure, je vais au croisement et j'attends. Comme un chasseur à l'affût. Assez vite, ou parfois pas vite du tout, d'un côté ou de l'autre du carrefour apparaît une carriole remplie de caisses en bois. Dedans, bien fermé sous du verre et des bouchons, il y a de l'alcool. Je sors de mon immobilité et je suis la carriole, où qu'elle aille, jusqu'à l'arrêt et le déchargement. Voilà qui vous donne l'impression de marcher d'un pas solennel derrière un catafalque portant vos propres cendres.
Mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit des timbres, dont on se servait à l'époque pour remplacer la monnaie qui manquait. Que pouvait bien faire un homme vivant à l'écart des autres, loin de tous, avec des timbres ? Ces petits rectangles dentelés et collants destinés à ceux qui communiquent rapprochent leurs cœurs, se collent les uns contre les autres. J'avais accumulé une bonne quantité de timbres. Ils étaient mis de côté, à l'écart, au bout de la table. Et ils voulaient travailler, être compris. Je ne sais trop comment - j'étais à moitié saoul - j'ai séparé leurs dentelures et j'ai décidé (nous autres, les ivrognes, nous ne sommes pas de mauvaises gens) de faire plaisir à un timbre.
Mais à qui écrire ? Personne en vue. Et pas d'enveloppe, pas de papier à lettres. J'ai quand même expédié ma première missive, je l'ai plié en petit bateau, j'ai collé le timbre dessus et j'ai écrit : "Au premier qui la ramassera". Ne restait plus qu'à ouvrir le vasistas et à la jeter, comme dans une boîte aux lettres.
Voilà comment cela s'est passé. Avec mon coauteur, la vodka, nous nous sommes peu à peu pris de passion pour la chose épistolaire. Ça nous fait un peu d'esprit à nous mettre sous la dent. Il ne faut pas vous fâcher. Et d'ailleurs, avec vos six sonneries, vous ne devez pas vous fâcher trop vite. Au fait, à quel coup de sonnette commencez-vous à être nerveux ? Au quatrième, ou peut-être au cinquième ? Comme chacun, vous attendez votre chacune, ou comme chacune, votre chacun. Et moi, je suis vieux, et je n'attends plus ni l'un ni l'autre. Il n'y a plus que l'autre, qui me rend visite : il se glisse dans mon âme en me fixant de ses orbites vides, en me glaçant le sang - et je voudrais ... mais qu'est-ce que je dis ? La bouteille est finie. Je vais en chercher une autre. En chemin, je mettrai la lettre à la boîte. Moi aussi, un jour on me mettre dans une boîte. Alors, au revoir. Ou plutôt, à jamais.
(in Sigismund Krzyzanowski, Rue involontaire, traduit par Catherne Perrel, Verdier 2014)
Rue Involontaire - Paquet de lettres d'un seul homme à différents destinataires est un texte miraculé, considéré comme perdu et ressuscitant des archives centrales du FSB en 1995 au milieu d'un carton de quatorze œuvres de Klouiev (qu'on a croisé auprès de Essénine ...) qui fut, lui, arrêté en 1934 et exécuté en 1937. Une explication plausible de ce classement étrange est que l'ensemble des œuvres auraient été saisies chez une secrétaire travaillant pour les deux écrivains. Une excellente introduction à Krzyzanowski, sans oublier bien sûr l'essai de Vladimir Toporov (L'espace négatif de Krzyzanowski, chez Verdier). À ranger quelque part du côté de Kafka et de Schulz.
lundi 13 avril 2015
All the conspirators -- Christopher Isherwood (1904 - 1986)
The normal healthy boy does not worry very much about his soul. And perhaps he is right. You will not make a plant grow in the earth if you are always digging it up to look at the roots.
Did you like this, honestly ? I'm frightfully glad. That was Bach. By Jove, how ripping. Yes, I am most ferfully braced you liked it.
One cannot imagine finer than that. Their heritage to us is, quite simply, in that memory. And as a young poet, who gave his life no less for England because upon a lonely island, far off in the Mediterranean sea, he has written -
And so this weakness, which at first seemed so pleasant and even harmless, will, unless you tear it out by the roots, grow and grow, until, at last, like some terrible cancer, it poisons your whole life. The hospitals today are full of boys, only a few years older than yourself ; now hopeless, incurable madmen.
All the conspirators est le premier roman de Christopher Isherwood, paru en 1928. On y lit la défaite d'un fils à sortir du cercle maternel, la fin lamentable d'une ambition qui n'en était même pas vraiment une, d'une velléité, plutôt, sur fond de croquis au vitriol de la bourgeoisie anglaise d'après guerre. L'influence de Joyce mais surtout de Woolf (To the lighthouse, tout particulièrement) est très nette, au point que certains passages semblent presque tenir du pastiche mais la vérité psychologique l'emporte sur l'exercice de style.
Et puis, il y a cette phrase finale, adressée à Allen qui partage bien des traits d'Isherwood (étudiant en médecine, par exemple, mais aussi contempteur de la "high society") par Philip, le vaincu, vaincu au point de faire de sa défaite une gloire ("battu content") :
You see, Allen, what I really dislike about your attitude is that it gets you nowhere. You refuse to venture, that's what it is. You're timid. Oh, I grant you one's got to have the nerves ...
Cette adresse qu'Isherwood semble se faire à lui-même ne restera pas sans lendemain : en 1929, Isherwood quittait l'Angleterre pour rejoindre Auden à Berlin.
Christopher Isherwood, All the conspirators, New Directions, 1958
lundi 6 avril 2015
Pris en passant !
L'humour sauve du monstrueux, il y a une façon burlesque de s'accepter qui préserve du pathétique.
Jean-Louis Bory à propos de The Queen (le documentaire de Frank Simon, 1968, aucun rapport avec Freddy Mercury ! Quoique ... Excellente recension, ici).
in Jean-Louis Bory, La nuit complice, UGE 10/18, 1972
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