WachsendesSteingrau.Graugestalt, augen-loser du, Steinblick, mit dem unsdie Erde hervortrat, menschlich,auf Dunkel-, auf Weissheidewegen,abends, vordir, Himmelsschlucht.Verkebstes, hierhergekarrt, sanküber den Herzrücken weg. Meer-mühle mahlte.Hellflüglig hingst du, früh,zwischen Ginster und Stein,kleine Phaläne.Schwarz, phylakterien-farben, so wart ihr,ihr mit-betenden Schoten.in Die Niemandrose
(S. Fischer Verlag, 1963) Paul Celan passa les étés 60 et 61 à Trébabu, dans le Finistère, avec sa femme Gisèle ; les poèmes de la troisième section de
Die Niemandsrose (dont
Le Menhir fait partie) sont l'écho de ces séjours.
Ce "Gris de pierre / qui grandit là", c'est sans doute le menhir de Kerloas, dit "An tort" ("Le bossu") en raison des deux curieuses bosses diamétralement opposées, à sa base.
Le Menhir
Gris de pierre
qui pousse.
Forme grise, sans
yeux, toi, regard de pierre, avec lequel
la terre a fait saillie vers nous, humaine,
sur l'obscur, le clair, de ces chemins de lande,
le soir, devant
toi, gouffre du ciel.
De l'adultérin, charroyé jusqu'ici, sombrait
par-dessus le dos du cœur. Moulin-
de-mer moulait.
Aile-claire, tu étais suspendue le matin,
entre genêt et pierre,
petite phalène.
Noires, couleur de phylactères, ainsi étiez-vous
cosses
partageant les prières.
in Paul Celan, La rose de personne,
traduction de Martine Broda
(Nouveau Commerce, 1979(*))
(*) Une édition remaniée de cette traduction est
parue en 2002 chez Corti mais je ne l'ai pas lue.
Martine Broda nous a quitté l'an dernier.
Le Menhir
Gris de pierre
qui grandit là.
Silhouette grise, toi qui n'as
pas d'yeux, regard de pierre, avec lequel
la terre devant nous a surgi, humaine,
sur des chemins de bruyère obscure, ou blanche,
le soir, face
à toi, gouffre du ciel.
Du concubiné, brouetté jusqu'ici, s'abîmait
par-delà le dos du cœur. Moulin
de mer moulait.
Aile-claire, tu étais suspendue le matin,
entre genêt et pierre,
petite phalène.
Noires, couleur
de phylactères, ainsi étiez-vous,
gousses, vous
aussi en prière.
in Paul Celan, choix de poèmes réunis par l'auteur,
traduction de Jean-Pierre Lefebvre
(Poésie/Gallimard, 1998)
La troisième strophe est un véritable calvaire.
Verkebstes, construit sur die Kebste, un mot vieilli qui signifie concubine, pourrait en effet signifier "quelque chose traité comme une concubine". Franchement, "Du concubiné" ou "Du séparé" ne vont pas et trahissent la perplexité des traducteurs.
Comme le signale Jean-Pierre Lefebvre dans ses notes, die Kebste a aussi le sens de "capsule", ce qui pourrait faire écho aux phylactères de la dernière strophe (via les téphilines, ces boites qui contiennent les phylactères). Par ailleurs, die Kebste, via sa forme un peu plus usuelle die Kebstehe, se scinde étymologiquement en deux parties : Kebst - Ehe, Ehe signifiant mariage. La concubine, la seconde épouse est en quelque sorte une épouse "encapsulée", cachée. J'entendrais donc plutôt le mot Verkebstes comme "quelque chose de caché", voire "quelque chose de secret" mais évidemment, cela est loin de rendre justice aux multiples échos qu'il éveille ; en particulier, l'idée de répudiation (traité comme une concubine) n'y est plus vraiment.
Herzrücken n'est pas vraiment plus facile ; "dos du cœur" (à partir de der Rücken, le dos), c'est possible, effectivement, mais après ? Rücken, c'est aussi tout une série de verbes de mouvement (pousser un objet, déplacer une pièce sur un échiquier ; anrücken, s'avancer, vorrücken, progresser etc ; une idée de mouvement et même de mouvement un peu contraint, de mouvement sous une pression, de poussée dans le dos) et c'est surtout cela que j'entends derrière Herzrücken, quelque chose comme "mouvement du cœur" ("battement de cœur" se construirait sur schlagen).
Meer-Mühle n'arrange pas les choses ... certes, un "moulin de mer" est, comme le précise toujours Jean-Pierre Lefebvre dans ses notes, une formation géologique spécifique des zones karstiques, mais encore ? Le Finistère n'est guère renommé pour ses formations karstiques !
Je préfère me souvenir du
moulin à mer (ou moulin à marée) à l'embouchure de la rivière du Camfrout, sur la commune de Logonna-Daoulas (pas si distante que cela de Trébabu, quelques dizaines de kilomètres, tout de même, mais on reste dans le Finistère !) : l'étang du moulin et un des ports de la commune s'appellent d'ailleurs Moulin Mer.
Au final, je proposerais plutôt
Quelque chose de caché, charroyé jusqu'ici, s'abîmait
par-delà le mouvement du cœur. Le moulin
à marée moulait.
Moins obscur.
Un rien trop familier ou idiosyncrasique sans doute pour ceux qui considèrent, contre toute évidence, la poésie de Celan comme un gigantesque rébus, un somptueux galimatias auquel ne rien comprendre serait finalement tout à fait naturel (*). La langue de Celan est neuve; il l'a voulue ainsi, éperdument. Elle est neuve mais elle ne cache rien : elle ne cherche au contraire qu'à renouer les fils de la poésie par-delà l'abîme.
(*) Est-il vraiment nécessaire de préciser que ceci ne vise évidemment pas Martine Broda ou Jean-Pierre Lefebvre dont les traductions ont tout au contraire éminemment contribué à rendre Celan accessible au lecteur francophone ?