Le quotidien : allumer le feu (et il ne prend pas du premier coup, parce que le bois est humide, il aurait fallu l'entasser dehors, cela aurait pris du temps), penser aux devoirs des enfants, à telle facture en retard, à un malade à visiter, etc. Comment la poésie s'insère-t-elle dans tout cela ? Ou elle est l'ornement, ou elle devrait être intérieure à chacun de ces gestes ou actes ; c'est ainsi que Simone Weil entendait la religion, que Michel Deguy entend la poésie, que j'ai voulu l'entendre. Reste le danger de l'artifice, d'une sacralisation "appliquée", laborieuse. Peut-être en sera-t-on réduit à une position plus modeste, intermédiaire : la poésie illuminant par instant la vie comme une chute de neige, et c'est déjà beaucoup si on a gardé des yeux pour la voir. Peut-être faudrait-il même consentir à lui laisser ce caractère d'exception qui lui est naturel. Entre deux, faire ce qu'on peut, tant bien que mal. Sinon, risque d'apparaître le sérieux du sectaire, la tentation de porter la bure du poète, de s'isoler en "oraison" (ce qui gène quelquefois chez Rilke). Pour moi du moins, je dois accepter plus de faiblesse.
in La Semaison, carnets 1954-1979, Gallimard (1984)
repris dans L'encre serait de l'ombre, Poésie / Gallimard (2011)
in La Semaison, carnets 1954-1979, Gallimard (1984)
repris dans L'encre serait de l'ombre, Poésie / Gallimard (2011)