mardi 29 mai 2012

Aux liserons des champs -- Philippe Jaccottet


Cet extrait, parce qu'il y est encore question de brèche, de circulation entre l'intérieur et l'extérieur, de l'abolition presque insensible de l'opposition dedans / dehors ; parce qu'avec Jaccottet, c'est un apaisement "soucieux" qui sans relâche se reconstruit par la contemplation, après les emportements, les fièvres et les abattements du romantisme :

 



Chose donnée au passant qui pensait à tout autre chose ou ne pensait à rien, on dirait que ces fleurs, si insignifiantes soient-elles, le "déplacent" en quelque sorte, invisiblement ; le font, imperceptiblement, changer d'espace. Non pas, toutefois, entrer dans l'irréel, non pas rêver ; mais plutôt, si l'on veut, passer un seuil où l'on ne voit ni porte, ni passage.

***

Et s'il y avait un "intérieur" des fleurs par quoi ce qui nous est le plus intérieur les rejoindrait, les épouserait ?

Elles vous échappent ; ainsi, elles vous font échapper : ces milliers de clefs des champs.

Pourrait-on en venir à dire que, si l'on voit, dès lors que l'on voit, on voit plus loin, plus loin que le visible (malgré tout) ?
Ainsi, par les brèches frêles des fleurs.

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Comme si un homme très voûté lisait un livre à même le sol.

Sa dernière lecture.



(in Et, néanmoins, Gallimard 2001, repris dans L'encre serait de l'ombre, Poésie / Gallimard 2011)