mercredi 27 octobre 2010

Miel (Bal) -- Semih Kaplanoğlu
























Avec ce film, Kaplanoğlu boucle sa "trilogie de Yussuf", après Œuf (Yumurta) et Lait (Süt) ; c'est aussi cela sans doute que l'Ours d'Or de Berlin est venu récompenser. Non que Miel soit sans qualité, loin de là,  -- on y retrouve cette lenteur qui s'enroule en tension que Kaplanoğlu partage avec quelques illustres prédecesseurs (qu'ils soient russe, grec ou japonais !), cette volonté de donner à voir, de laisser le temps à l'image de se former (ainsi, ce reflet de la lune dans un seau d'eau) qu'on avait déjà appréciées dans ses films précédents -- mais l'ensemble des échos discrets qui se répondent entre ces trois films à partir de Miel (on y voit Yussuf enfant ; il était jeune homme dans Lait et vers la quarantaine dans Œuf) finissent par former une trame "en profondeur" sur laquelle l'action de Miel s'inscrit et prend un sens qui la dépasse.

Ainsi, Bal nous donne à voir la première rencontre de Yussuf avec son "poème-fétiche", Sensation, le poème de Rimbaud dont un extrait figure sur l'affiche de Yumurta, poème dont le choix ne doit sans doute rien au hasard ; rappelons que ce poème, envoyé à Théodore de Banville en 1870, signe l' "entrée en poésie" de Rimbaud, .



Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.



Note pédante : ci-dessus, c'est la version finale du poème ; la version envoyée à Banville était légèrement différente et ne portait pas de titre :


Par les beaux soirs d'été, j'irai dans les sentiers, 
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue ...


Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais un amour immense entrera dans mon âme :
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme !