Ok, ok ... "now the shit hits the fan" et une véritable épidémie de papiers sort sous le label "labor market polarization" ; même les gender studies y vont de leurs contributions ...
Pas de quoi fouetter un chat pourtant : en prenant une définition extensive du terme robot (mais en excluant son sens étymologique dérivé de robotnik qui signifie travailleur en tchèque (entre autres langues slaves mais je crois qu'on doit le concept au tchèque Karel Čapek))
(1) avez-vous vu des robots faire des coffrages sur les chantiers ?
(2) avez-vous vu des robots distribuer des timbres ?
(3) avez-vous vu des robots tenir une comptabilité ?
(4) avez-vous vu des robots traverser la rue ?
Bon, si vous avez répondu oui à tout, votre définition du robot est infiniment plus extensive que la mienne. Si vous avez répondu non à tout, nous ne vivons pas dans le même feuillet temporel. Si vous avez répondu NON OUI OUI NON, vous devriez pouvoir sans grand problème ajouter une publication au déluge d'eau tiède qui s'abat actuellement sur la littérature économique.
Les gains de productivité liés à l'introduction des technologies de l'information et de la communication sont essentiellement sensibles dans les secteurs des tâches routinières et c'est là que toutes les pressions (de la globalisation au simple appât du gain ... pardon au désir de rationalisation) se traduiront en la substitution du travail salarié par des processus automatisés.
Rien de très surprenant, à ceci près que cela va un rien contre l'idée reçue que l'automatisation menace essentiellement l'ouvrier spécialisé. C'est vrai, ou plutôt c'était vrai mais ce n'est plus d'actualité : à ce niveau, l'automatisation a déjà "fait le ménage" (pour employer le doux langage des DRH) et force est de constater qu'il reste après cela bien plus qu'un petit domaine résiduel que les robots ne peuvent actuellement pas occuper. Bref, ce qui n'a pas été détruit en termes d'emploi dans le domaine de l'industrie, de la construction etc, tout cela n'est plus vraiment sous la pression de l'automatisation (les délocalisations restent néanmoins une menace pour une partie de ces emplois mais ce n'est pas le sujet ici) : en bas de l'échelle salariale, la compression est faite mais le marché du travail fait de la résistance (pas facile de délocaliser un cantonnier ...).
L'automatisation se répand donc essentiellement "au-dessus", dans les bureaux et les administrations, où les tâches répétitives transactionnelles sont désormais à sa portée : à ce niveau, le marché du travail part en capilotade, pour rester poli.
Pour ce qui est des tâches de conception, l'automatisation reste pour l'instant un outil (les tâches "complexes", où complexe se situe à "traverser la rue", sont pour le moment hors de portée) : le marché du travail résiste, quant à la distribution des salaires elle a tendance à prendre des formes caricaturales jusqu'à l'obscénité de distribution scale-free !
Ergo ... la fameuse "polarisation du marché du travail" : en bas de l'échelle, un niveau incompressible, pour le moment, de demande de travail peu qualifié à très bas coût, en haut un niveau soutenu de demande de travail très qualifié à des coûts défiant souvent toute rationalité ... et, au milieu, un effondrement de la demande de travail moyennement qualifié et moyennement rémunéré.
S'il vous faut plus que cette description "avec les mains" ("handwaving") pour vous persuader
(a) que l' "ascenseur social" va désormais avoir du mal à fonctionner s'il ne peut plus s'arrêter aux étages intermédiaires (tous traders, vraiment, tout de suite ?);
(b) que faire des études ne devient "rentable" (je ne parle pas là de "culture" mais bien de ce qui semble être devenu le maître-mot de l'éducation, à savoir l' "insertion sur le marché du travail") qu'à condition de les pousser vraiment très loin ; ou pour le dire plus brutalement, si "une maîtrise ou rien, c'est pareil", pourquoi aller au lycée ?
(c) que le sentiment ou la peur du "déclassement" des classes moyennes sont un peu plus que ce bizarre phantasme qu'Eric Maurin ne voit pas bien dans son rétroviseur quand l'ascenseur ne s'arrête plus aux étages intermédiaires, par où passent donc les "parcours sécurisés", cette alternative aussi vertueuse qu'hypothétique aux vilains emplois protégés ? Et comment ne pas comprendre le doute qui taraude les classes moyennes à l'idée de monter dans ce curieux véhicule au motif que de plus pauvres qu'eux attendent aux étages inférieurs ?
(d) que cette polarisation remet aussi en question la position de Fançois Dubet : quand la mobilité sociale sur le long terme (trans-générationnelle) s'avère impossible, le pont que représentait l'accès par l'éducation à des emplois moyennement qualifiés s'étant réduit à bizarre pont de singe, l'égalité des places perd son plus ferme argument et l'égalité des chances (qui n'est que le nom poli du limpide "Get rich or die trying" de 50 Cent) se remet à occuper le terrain : passer le pont de singe, au détriment des autres s'il le faut, ou croupir à jamais sur la mauvaise rive et user sa vie à regarder les pipoles et autres traders qui semblent tant s'amuser de l'autre côté ... le choix est vite fait. Bref, encore une fracture à feedback positif : plus elle sera grande, plus elle s'élargira.
(d) que cette polarisation remet aussi en question la position de Fançois Dubet : quand la mobilité sociale sur le long terme (trans-générationnelle) s'avère impossible, le pont que représentait l'accès par l'éducation à des emplois moyennement qualifiés s'étant réduit à bizarre pont de singe, l'égalité des places perd son plus ferme argument et l'égalité des chances (qui n'est que le nom poli du limpide "Get rich or die trying" de 50 Cent) se remet à occuper le terrain : passer le pont de singe, au détriment des autres s'il le faut, ou croupir à jamais sur la mauvaise rive et user sa vie à regarder les pipoles et autres traders qui semblent tant s'amuser de l'autre côté ... le choix est vite fait. Bref, encore une fracture à feedback positif : plus elle sera grande, plus elle s'élargira.