lundi 8 août 2011

De l'argent - La ruine de la politique -- Michel Surya





Selon Jean-Michel Six, chef économiste Europe chez Standard & Poors, la dégradation de la note américaine avait été quasiment annoncée dès le 18 avril dernier lorsque l’agence avait placé la note des États-Unis dans une perspective négative. Et c’est principalement l’apparente paralysie du gouvernement américain a entamer des réformes importantes qui a motivé le passage de la note AAA à celle de AA+.

L’économiste ne croit pas que la dégradation de la note aura des conséquences particulièrement graves ; les “marchés étaient prévenus” et selon lui, “la note AA+ reste excellente”. “Il n’y a donc pas de raison particulière d’attendre rien de fracassant. lors de l’ouverture des bourses lundi ”.

Et l’Europe ? Jean-Michel Six insiste sur l’aspect politique de la crise : “Le communiqué Standard & Poors met l’accent sur la volonté politique, sur l’efficacité des institutions politiques. La même chose s’applique à l’Europe, Il faut être unis, il faut agir vite, il faut faire ce que l’on a dit que l’on ferait, et là je crois que le message a été reçu.”

Quant aux inquiétudes chinoises, elle paraissent normales à Jean-Michel Six : “La Chine est le principal créancier des USA avec un trillions de dollars de dette américaine, il est normal qu’elle soit préoccupée par la qualité de l’emprunteur américain”.



“If French authorities do not follow through with their reform of the pension system, make additional changes to the social-security system and consolidate the current budgetary position in the face of rising spending pressure on health care and pensions, Standard & Poor’s will unlikely maintain its AAA rating,” S&P said in a June 10 report.

(re-source)




Du temps qu'elles tançaient ainsi les Coréens, les Argentins, les Mexicains ou autres émergents rastaquouères présumés, on entendait peu de voix pour s'indigner du message de pure domination managériale qu'imposaient les agences de notation. Aujourd'hui qu'elles se tournent vers les USA ou l'UE, certains semblent tomber du banc en découvrant que ces agences font leur (sale) boulot, comme elles l'ont toujours fait, de porte-voix des créanciers du monde (dans une crise de la dette, il faut bien des créanciers !) ; simplement, comme nous ne sommes plus du même côté du porte-voix, la mélodie est moins agréable.

A toute chose, malheur est bon : on va peut-être se rendre compte que derrière cette novlangue enrichie à la moraline, c'est bien de politique qu'il s'agit, précisément de sa négation et de son retournement en gestion, pardon, en "gouvernance" (*), derrière le brouillard "objectif" des chiffres qui prétendent mesurer une "réalité économique" qui n'a précisément reçu ce statut de réalité que de son "objectivabilité" (donc via de commodes abstractions).


(*) Souvenez vous de la "bonne gouvernance" à destination des pays africains ... pour la piqure de rappel, c'est ici, 19ème sommet franco-africain de 1996 :


« Les bailleurs de fonds, qui doivent s’appliquer à eux-mêmes les critères de la bonne gouvernance -la transparence, le dialogue, la rigueur, l’efficacité-, sont particulièrement sensibles aux efforts consentis et aux progrès accomplis par les pays qui reçoivent l’aide. C’est pourquoi ils tendent à se détourner des pays aidés qui ne respectent pas ces mêmes critères. La bonne gouvernance est devenue la condition même du développement. Un impératif absolu qui s’impose tant aux bailleurs de fonds qu’aux pays aidés. »

Même menace voilée sous la moraline : "ils {les bailleurs de fond, ndlc} tendent à se détourner des pays aidés qui ne respectent pas ces mêmes critères."






C'est ce que pointait Michel Surya dans la conclusion de cet excellent livre : "A la fin, c'est même de la possibilité que la révolution puisse continuer de menacer le capitalisme que celui-ci devra de continuer de prétendre, faussement, qu'il est une politique". Nous y sommes.

Un livre de 2000, réédité chez Rivages / Poches en 2009. Concis, difficile et superbement écrit.




Un petit extrait des premières pages (qui éclaire à sa façon celles de Francesco Masci) :



Pas la plus petite plainte.
Il n'y a plus personne pour protester d'une façon à laquelle on puisse mesurer que c'est la possibilité de protester elle-même qui n'a pas disparu. Toute tension est à la fin appelée à retomber, sans qu'on sache avec assurance de quoi cette tension dépendait ni de quoi elle pouvait dépendre qu'elle ne retombât pas.
Ce qui est fait horreur sans doute, mais il n'y a pas jusqu'au moyen de quoi on le fuit qui ne fasse horreur aussi. Autrement dit, c'est tout ce qui est et dont on s'accommode si manifestement qui est sans plus offrir d'issue.
C'est tous les jours que la question se pose : à quel point ce qui est ne paraît pas réel pour que tous le supportent ? Ou ce que tous supportent n'est-il supportable qu'à la condition de ne plus passer aux yeux de personne pour réel ?
Ce que tous supportent et qui n'est pas supportable, en effet, qui n'est pas supportable parce qu'il n'y a personne pour ne trouver qu'il fait horreur, ne fait pas horreur parce qu'il n'y a plus personne pour croire encore qu'il est  réel. En d'autres termes, l'horreur est de moins en moins réelle parce que c'est le plaisir pris à le fuir qui a attiré à lui toute la réalité. N'est-ce pas ce qu'on voudrait qu'on croie : qu'il n'y a plus que le plaisir à pouvoir être réel. Reste de tout cela l'impression, ni vraie ni fausse tout à fait, quoi qu'il en soit de l'horreur de vivre ainsi, vivre aussi bien pourrait n'être tout entier qu'un plaisir.
Quelque chose naît sous nos yeux qu'on ne sait pas encore comment nommer, qu'il est encore trop tôt pour nommer (qu'il faudra bien pourtant nommer le moment venu, mais il sera alors trop tard), quelque chose naît dont il suffira pour le moment de dire qu'il réalise l'accord momentané entre l'horreur et la satisfaction qu'il n'y a personne à n'éprouver à faire de son existence un jeu, fût-il en effet affreux.



et les dernières pages :




Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.