mercredi 17 août 2011

Asymptotiquement ... le NARRR


Bonne formule d'un commentateur du blog de PJ :









C'est une fort bonne description de l'état asymptotique du miroir aux alouettes dont on nous a tant rebattu les oreilles sous le nom d' "économie de la connaissance" ; pour faire vite, la production, ça se fait avec les mains, c'est sale, c'est bon pour les sous-hommes, donc pas pour les occidentaux qui eux, bien sûr, regorgent tous d'idées neuves comme s'ils y étaient génétiquement prédisposés et feront tous métier de l'innovation technologique à haute valeur ajoutée.
S'il y a un autre fondement à cette économie - et qui ne soit pas de l'ordre de "mais, couillon de la lune, c'est via cette forme d'économie que la concentration du capital est la plus rapide", ce ne serait pas du jeu ! - merci de me l'indiquer.

Manque seulement à cette description la mention d'une classe au-dessus, concentrant le revenu de l'innovation produite par des ingénieurs élevés en batterie, eux-mêmes légèrement au-dessus des esclaves et des chômeurs (en attendant l'essor de la programmation évolutionniste qui les ramènera à l'un ou l'autre de ces statuts). 

Le problème associé à cet état asymptotique, c'est son apparente instabilité ; intuitivement, cela paraît intenable : les chômeurs occidentaux n'ont rapidement plus rien pour payer les produits des esclaves asiatiques, tout s'effondre et on passe à la dé-mondialisation, heureuse ou non selon les écoles. 
Dont acte ... mais cela dépend finalement de la part du capital qui est redistribuée ; si on veut bien admettre qu'au-delà d'une certaine quantité, le capital ne représente plus que du pouvoir pur et que la "sur-classe" n'est pas homogène mais au contraire en guerre intestine perpétuelle pour tout le pouvoir et que cela seul l'intéresse, et non l'accumulation du capital pour lui-même, on peut aussi admettre que cette sur-classe s'accorde sur la proportion de redistribution nécessaire pour maintenir l' "état des choses", ce "confort" minimal dont le niveau est à découvrir empiriquement et dont la nature doit être strictement contrôlée et orientée , lui permettant de se livrer aux délices de ces luttes barbares.
C'est de ce "confort" qui vient s'interposer devant la réalité dont parle Haruki Murakami ; son niveau est infiniment modulable en fonction des contextes et pas forcément "confortable" au sens usuel, juste suffisant pour inhiber toute velléité de mouvement par la peur de le perdre, pour soi même ou, surtout,  pour les siens (la carotte n'est jamais loin du bâton, les ineptes rodomontades de David Cameron, promettant de relever la morale de la déchéance où les pauvres l'ont fait tomber à coup d'expulsion des logements sociaux (*), permettent de s'en souvenir). Les délices de l’assurance-vie dont il est pointé ici qu'elle constitue la base sociale de la servitude volontaire, du moins au sein des "classes moyennes occidentales", en constituent un autre exemple.

Une sorte de non-accelerating riot rate rapacity. NARRR, c'est au moins aussi joli que NAIRU, non ?

Que quelques représentants de cette sur-classe aient pris position à plusieurs reprises pour une augmentation de leurs impôts (ici, par exemple) me paraît plus facile à analyser en partant de cette solution asymptotique et de sa stabilisation qu'en faisant l'hypothèse d'une épidémie de vertu ou de chutes de cheval sur le chemin de Damas.
On  peut aussi, mais cela revient finalement au même, remarquer que ces zélotes de l'auto-taxation ont souvent largement passé leur dlv : conscients, comme le rappelait Buffet il y a quelques années, que leur classe, "celle des riches", a gagné la lutte des classes, conscients peut être aussi du peu de temps qu'il leur reste à jouir de cette victoire et de leur capacité amoindrie de continuer cette lutte dans un environnement toujours aussi violent (ce n'est que "vue d'en-bas" que la sur-classe paraît homogène !), ils souhaiteraient simplement installer une "paix des braves" au voisinage des frontières issues du conflit. Voir aussi ici.



Restera ensuite à traiter avec le renchérissement prévisible des coûts de transport, l'autre puissant facteur derrière la déstabilisation à court terme de ce modèle. Noter qu'une fois stabilisé sous une forme exploitant au mieux de faibles coûts de transport, ce modèle pourrait aisément être "relocalisé", la mobilité restant l'apanage de la seule sur-classe.


(*) (source)

En fin de journée vendredi, David Cameron a déclaré sur la BBC que les fauteurs de troubles devaient être expulsés de leur logement social.

"Si vous vivez dans un logement social, vous profitez d'une maison à prix réduit et cela vous donne des responsabilités", a déclaré le Premier ministre conservateur. "Pendant longtemps, nous avons adopté une attitude trop molle envers les personnes qui pillent leurs communautés", a-t-il expliqué.

Au même moment, le conseil municipal de Wandsworth, un quartier du sud de Londres, a annoncé qu'un avis d'expulsion avait été émis contre l'un de ses locataires, dont le fils est soupçonné d'avoir participé à des violences à Clapham dans la nuit de lundi à mardi. La décision finale reviendra à un juge.







On peut se demander comment on peut à la fois soutenir comme ici un découpage en groupes vus comme homogènes et soutenir ailleurs un modèle de sériation en cours de constitution à l'échelle de la planète. La raison en est que la sériation se fait selon une échelle logarithmique et que ces échelles ont une délicieuse propriété : 
  • considérées dans leur ensemble, ces distributions n'ont pas d'autre structure que la loi d'échelle qui les définit et il n'y a donc pas, globalement, de moyen de couper la distribution ici ou là pour constituer des groupes homogènes ;
  • considérées localement, donc du point de vue d'un des maillons de la chaîne, les écarts de la série sont rapidement tellement importants, tant vers le haut que vers le bas, qu'il est inévitable que se forme une représentation en trois groupes, ceux qui sont en-dessous (nettement, disons ceux qui gagnent dix fois moins) ceux qui sont à mon niveau (en gros) et ceux qui sont au-dessus (nettement, disons ceux qui gagnent dix fois plus) ; 
  • que ces groupes localement définis, surtout "au-dessus" et "en-dessous" ne soient en rien homogènes (parmi ceux qui gagnent dix fois plus, il y en a qui gagnent cent fois plus, mille fois plus etc) n'enlève rien à la possibilité de créer une coupure "raisonnable" d'un point de vue local ; simplement, vu d'un autre maillon, les coupures sont ailleurs, ce qui est en accord avec le fait qu'il n'existe pas de structure globale.


On remarquera au passage que c'est cette structure qui sous-tend la "frustration" (au sens usuel et aussi au sens qu'on donne à ce mot en physique, sens qui reprend la notion de conflit entre un ordre local et un ordre global) que l'on sent dès qu'il est question d'action collective : dans tous les maillons de la chaîne, il existe une perception du "eux contre nous" mais il n'existe pas de point de coupure stable à l'échelle de la chaîne toute entière.
L'appel à l'action collective échoue sans cesse, soit sur le repliement du "nous" à une échelle micro-locale sans efficacité dont la limite est "moi" (constitution du groupe via "les ennemis de mes amis sont mes ennemis"), soit sur la dilution infinie par extensions successives (constitution du groupe via "les amis de mes amis sont mes amis).
L'issue répétitivement lassante de cette frustration, c'est la constitution locale d'un bouc émissaire situé en-dessous, chargé de tous les maux et en particulier, bien sûr, celui d’empêcher l'ascension vers le dessus : Jusqu'où ne serais-je pas monté sans tous ces impôts, charges, règlements etc qui entravent mon merveilleux dynamisme et ne profitent qu'à ces incapables d'assistés ? ne cesse de se lamenter chaque maillon de la chaîne ! Le tout couplé avec l'antienne également lassante : S'il faut changer quelque chose (peu importe quoi, d'ailleurs), que ceux du dessus commencent ! Au final, la structure de sériation en sort encore renforcée.