mercredi 19 novembre 2014
Serghei, Serghei Aleksandrovitch -- Georges-Emmanuel Clancier
Serghei, Serghei Aleksandrovitch
Dans ton village de la province de Riazan
Jeune paysan perdu sous l'assomption des blés
Laboureur de nuage et faneur de tendresse
Flâneur puéril des pauvres cabarets
En secret déjà terrassé par l'amour
De ta vieille Russie et guettant
Dans la forêt des pins les pleurs
Qui tintent des tétras, Serghei je t'imagine,
J'imagine tes quinze ans éblouis
Solitaires, poète ignoré, par tous moqué,
Petit rustre aux poings mauvais
Glissant dans la bagarre ta haine de toi-même
Et cette blessure qui jamais en toi ne se ferme
De l'enfance, de cette lumière de prairie
Qu'elle jetait sur les méandres de l'Oka
Et tu crois deviner des meules de soleil au creux des eaux.
Serghei, Serghei Aleksandrovitch
A Konstantinovo, des planches de l'isba,
Du pain noir pareil à quelque pavé de misère.
Des maigres palissades dans la poussière
De la rue où se dandinent les oies criardes
Comme à Moscou, comme à New York tu vois
Plus tard se dandiner et défiler des bêtes
Autrement redoutables, de toute cette usure
Familière, de l'étable, des pâtures
A l'orée du bourg, au seuil tremblant des bouleaux,
De tout ce rien bien-aimé, Serge, méchant rôdeur
Tu tires, magicien de village, un royaume
Et le donnes en partage à la reine champêtre
(Oh ! son cœur meurtri de trop de peines, ses mains
Gercées de trop de luttes dans le gel et la bise),
A la plus démunie des paysannes, ta mère
Que tu couronnes, comme ta patrie ancienne,
Poète perdu, d'un arc-en-ciel.
(in Georges-Emmanuel Clancier, Maraudeurs de l'exil, L'atelier imaginaire, L'âge d'homme, 1990)
La miniature de Soljenitsyne n'était pas passée inaperçue, et pour le meilleur !
Qu'il sanglote avec le glas le tétras du petit bois.
Dans le pourpre de l'aube il est une mélancolie joyeuse.
(in Sergei Essenine, Journal d'un poète, traduit par Christiane Pighetti, La différence, 2014)