La littérature exotérique (*) présuppose qu'il existe des vérités fondamentales qu'aucun homme honnête ne saurait exprimer en public parce qu'elles feraient du mal à beaucoup, lesquels parce{qu'ils ont été blessés auront naturellement tendance à faire u mal en retour à celui qui exprime ces vérités désagréables. En d'autres termes, elle présuppose que ni la liberté de recherche ni la liberté d'en publier tous les résultats ne sont garanties comme des droits fondamentaux. Cette littérature est donc essentiellement liée à une société qui n'est pas libérale. On peut très bien s'interroger sur son utilité dans une société véritablement libérale. La réponse est simple. Dans Le Banquet de Platon, Alcibiade - ce rejeton au franc-parler de l'Athènes au franc-parler - compare Socrate et ses discours à certaines sculptures très laides au dehors, mais à l'intérieur desquelles se trouvent les plus belles images de choses divines. Les œuvres des grands écrivains du passé sont très belles, même de l'extérieur. Et pourtant, leur beauté visible est d'une laideur consommée comparée à la beauté de leurs trésors cachés qui ne se dévoilent qu'après un travail très long, jamais facile, mais toujours agréable. Ce travail toujours difficile, mais toujours agréable est, je pense, ce qu'avaient à l'esprit les philosophes lorsqu'ils soulignaient l'importance qu'ils accordaient à l'éducation (**). Ils sentaient que l'éducation est la seule réponse à la question éternellement pressante, à la question politique par excellence, celle de savoir comment concilier un ordre qui ne soit pas oppression avec une liberté qui ne soit pas licence.
ndlc :
(*)
celle qui doit se lire "entre les lignes".
(**)
juste au-dessus de ce passage, Leo Strauss écrit aussi :
Tous les livres de ce genre doivent leur existence à l'amour du philosophe pour les jeunes chiens de sa race, dont il cherche à être aimé en retour : tous les livres exotériques sont des "discours écrits inspirés par l'amour".
(in Leo Strauss, La persécution et l'art d'écrire, Gallimard)
"La réponse est simple" ... mais l'argument est remarquablement alambiqué car quoi de moins "libéral" que cet appel lancé à travers les siècles aux "jeunes chiens", appel qui vaut avertissement, leur rappelant aussi que "la question politique par excellence" ("la question éternellement (*) pressante") reste ouverte , sauf peut être "dans une société véritablement (*) libérale".
(*) c'est moi qui souligne.