Un journal ordinaire. Un article ordinaire d'un directeur ordinaire d'une école ordinaire. Du bla-bla ordinaire sur l'importance historique du congrès et la réalisation de ses lignes directrices à l'école. Mais c'est justement dans cet ordinaire que j'ai commencé, ces derniers temps, à soupçonner le sens profond de tout ce qui se passait.
"Les travaux du XXVe congrès du parti, qui ont apporté une multitude d'idées, de thèses, de problèmes nouveaux, ont donné une impulsion grandiose à la refonte de tout le processus d'instruction et d'éducation à l'école, à la recherche de nouvelles formes et de nouvelles méthodes de travail avec les élèves".
Et ceci n'est pas une phrase creuse. J'imagine la panique qui doit régner en ce moment dans les écoles ! Pauvres instituteurs, comme ils ont du être tarabustés, jusqu'à la nausée, jusqu'à l'abrutissement complet !
"Des réunions, des séminaires, des rassemblements de pionniers et de jeunes communistes sont organisés de plus en plus souvent dans les écoles. Leur thème, c'est le congrès du parti, le nouveau plan quinquennal. Des écoliers de toutes les classes sont naturellement associés à ce travail".
Toutes les classes précisément. Y compris les petites classes. J'ose à peine imaginer toutes les bassines de propagande qu'on déverse actuellement sur les têtes des petits.
"Dans cet immense travail éducatif, c'est avant tout le cours qui doit être utilisé à bon escient. Le pédagogue doit avoir une approche créative de la matière du cours, afin de pouvoir élargir l'horizon mental de l'enfant, trouver le biais par lequel il rendra les transformations historiques du pays plus proches, plus compréhensibles pour l'enfant".
Dans chaque cours ! Même les cours de mathématique et de physique deviennent des sermons démagogiques vomitifs ! Ne parlons pas de la littérature et de l'histoire !
"Tout le système d'enseignement et d'éducation est actuellement pénétré par les idées du congrès. Le travail sérieux, fructueux qui consiste à faire étudier aux élèves les travaux du XXVe congrès du PCUS, ne fait que commencer. Mais d'ores et déjà, il contribue à renforcer l'efficacité pédagogique de l'enseignement".
Ce qui est vrai. Tous sans exception (en commençant par le directeur et en finissant par le dernier du cours préparatoire ou la femme de ménage) sont révulsés par cette "pénétration d'idées". Mais essayez seulement de ne pas vous pénétrer ! D'abord vous serez étranglés par les instances supérieures. Ensuite tout le monde s'entre-égorgera. En outre, on applique à l'école tout un système de mesures concrètes qui est pour tous une perte de temps, d'énergie, d'intelligence, de talents, d'entrain. Que dire de cette mesure par exemple :
"Le Journal du plan quinquennal". C'est le nom d'un cahier volumineux qui contient des coupures de journaux et revues, soigneusement collées, des notations et des dessins, qui évoquent le travail créateur du peuple soviétique. Tout écolier tient ce journal à partir de la quatrième classe.
Donc, à partir de sa quatrième classe d'école, le futur petit homme soviétique s'habitue activement à devenir un être qui se distinguera peu d'un vieux et minable fonctionnaire du parti, mis à la retraite pour sa stupidité. Je demandai à Lenka si elle aussi devait tenir ce genre de "Journal du plan quinquennal".
- C'est resté purement formel, dit Lenka, ils ont bien essayé chez nous, mais ça n'a rien donné. Notre école est privilégiée, l'aurais-tu oublié ? Quelqu'un, parmi les parents, devait déjà être au courant, il a convoqué la directrice (je ne sais plus si c'était au Comité Central, au Conseil de Ministres ou au KGB) et il lui a ordonné de cesser ces idioties.
Le récit de Lenka m'a découragé. Ainsi donc, même du point de vue de l'encrassage des cerveaux par notre idéologie géniale révolutionnaire et super-scientifique, les enfants des couches privilégiées sont favorisés. Mais, après tout, pourquoi s'étonner ? Moi-même, j'ai remarqué plus d'une fois que les étudiants des instituts supérieurs privilégiés accordaient moins d'attention au marxisme-léninisme, l'envisageaient avec plus de légèreté, quand ce n'était pas des sarcasmes et du mépris.
Bref, de quelque côté que l'on prenne notre existence, partout nous voyons que certaines couches sociales s'efforcent de garantir la possibilité même partielle d'échapper aux lois de la vie communiste, de bénéficier de plus de bien-être, de liberté, de joie et de plaisirs. Et la société est le théâtre d'une lutte acharnée pour l'accès à ces couches. Voilà encore un paradoxe de notre existence : une des tendances fondamentales du mode de vie communiste, c'est la conquête d'une position plus ou moins libre, par rapport aux lois mêmes de ce mode de vie.
(in Alexandre Zinoviev, L'avenir radieux, traduit par Vladimir Berelowitch, L'âge d'homme)
"Les travaux du XXVe congrès du parti, qui ont apporté une multitude d'idées, de thèses, de problèmes nouveaux, ont donné une impulsion grandiose à la refonte de tout le processus d'instruction et d'éducation à l'école, à la recherche de nouvelles formes et de nouvelles méthodes de travail avec les élèves".
Et ceci n'est pas une phrase creuse. J'imagine la panique qui doit régner en ce moment dans les écoles ! Pauvres instituteurs, comme ils ont du être tarabustés, jusqu'à la nausée, jusqu'à l'abrutissement complet !
"Des réunions, des séminaires, des rassemblements de pionniers et de jeunes communistes sont organisés de plus en plus souvent dans les écoles. Leur thème, c'est le congrès du parti, le nouveau plan quinquennal. Des écoliers de toutes les classes sont naturellement associés à ce travail".
Toutes les classes précisément. Y compris les petites classes. J'ose à peine imaginer toutes les bassines de propagande qu'on déverse actuellement sur les têtes des petits.
"Dans cet immense travail éducatif, c'est avant tout le cours qui doit être utilisé à bon escient. Le pédagogue doit avoir une approche créative de la matière du cours, afin de pouvoir élargir l'horizon mental de l'enfant, trouver le biais par lequel il rendra les transformations historiques du pays plus proches, plus compréhensibles pour l'enfant".
Dans chaque cours ! Même les cours de mathématique et de physique deviennent des sermons démagogiques vomitifs ! Ne parlons pas de la littérature et de l'histoire !
"Tout le système d'enseignement et d'éducation est actuellement pénétré par les idées du congrès. Le travail sérieux, fructueux qui consiste à faire étudier aux élèves les travaux du XXVe congrès du PCUS, ne fait que commencer. Mais d'ores et déjà, il contribue à renforcer l'efficacité pédagogique de l'enseignement".
Ce qui est vrai. Tous sans exception (en commençant par le directeur et en finissant par le dernier du cours préparatoire ou la femme de ménage) sont révulsés par cette "pénétration d'idées". Mais essayez seulement de ne pas vous pénétrer ! D'abord vous serez étranglés par les instances supérieures. Ensuite tout le monde s'entre-égorgera. En outre, on applique à l'école tout un système de mesures concrètes qui est pour tous une perte de temps, d'énergie, d'intelligence, de talents, d'entrain. Que dire de cette mesure par exemple :
"Le Journal du plan quinquennal". C'est le nom d'un cahier volumineux qui contient des coupures de journaux et revues, soigneusement collées, des notations et des dessins, qui évoquent le travail créateur du peuple soviétique. Tout écolier tient ce journal à partir de la quatrième classe.
Donc, à partir de sa quatrième classe d'école, le futur petit homme soviétique s'habitue activement à devenir un être qui se distinguera peu d'un vieux et minable fonctionnaire du parti, mis à la retraite pour sa stupidité. Je demandai à Lenka si elle aussi devait tenir ce genre de "Journal du plan quinquennal".
- C'est resté purement formel, dit Lenka, ils ont bien essayé chez nous, mais ça n'a rien donné. Notre école est privilégiée, l'aurais-tu oublié ? Quelqu'un, parmi les parents, devait déjà être au courant, il a convoqué la directrice (je ne sais plus si c'était au Comité Central, au Conseil de Ministres ou au KGB) et il lui a ordonné de cesser ces idioties.
Le récit de Lenka m'a découragé. Ainsi donc, même du point de vue de l'encrassage des cerveaux par notre idéologie géniale révolutionnaire et super-scientifique, les enfants des couches privilégiées sont favorisés. Mais, après tout, pourquoi s'étonner ? Moi-même, j'ai remarqué plus d'une fois que les étudiants des instituts supérieurs privilégiés accordaient moins d'attention au marxisme-léninisme, l'envisageaient avec plus de légèreté, quand ce n'était pas des sarcasmes et du mépris.
Bref, de quelque côté que l'on prenne notre existence, partout nous voyons que certaines couches sociales s'efforcent de garantir la possibilité même partielle d'échapper aux lois de la vie communiste, de bénéficier de plus de bien-être, de liberté, de joie et de plaisirs. Et la société est le théâtre d'une lutte acharnée pour l'accès à ces couches. Voilà encore un paradoxe de notre existence : une des tendances fondamentales du mode de vie communiste, c'est la conquête d'une position plus ou moins libre, par rapport aux lois mêmes de ce mode de vie.
(in Alexandre Zinoviev, L'avenir radieux, traduit par Vladimir Berelowitch, L'âge d'homme)
Bien sûr, ce n'est pas de nous dont parle ici Zinoviev ; bien sûr, bien sûr, c'est rassurant ... sauf que Les Hauteurs Béantes sont là pour nous rappeler que l'Isme (voire l'Isme intégral !) est plus général que le seul communisme et que, tous autant que nous sommes, nous sommes "gros Ivan comme devant".
Qu'on cesse donc de nous saturer de vivre ensemble, de civisme, de partage, de fraternité ... et qu'on nous parle simplement de zonage et de carte scolaire ! On verra bien alors de qui parle (aussi) Zinoviev.
Qu'on cesse donc de nous saturer de vivre ensemble, de civisme, de partage, de fraternité ... et qu'on nous parle simplement de zonage et de carte scolaire ! On verra bien alors de qui parle (aussi) Zinoviev.