vendredi 23 janvier 2015

Une autre variante d'effondrement


Qu'est ce que nous entendons maintenant par la "fiction des mondes hors-science", ou "fiction hors-science" ? Par le terme de "monde hors-science", nous ne parlons pas de mondes simplement dépourvus de science, c'est-à-dire de mondes ou, de fait, les sciences expérimentales n'existeraient pas - par exemple des mondes dans lesquels les hommes n'auraient pas, ou pas encore, développé un rapport scientifique au réel. Par monde hors-science, nous entendons des mondes où la science expérimentale est en droit impossible, et non de fait inconnue. La fiction hors-science définit donc ce régime particulier de l'imaginaire dans lequel il s'agit de concevoir des mondes structurés - ou plutôt déstructurés - de telle sorte que la science expérimentale ne peut y déployer ses théories ni constituer ses objets. la question directrice de la fiction hors-science est : que devrait être un monde, pour qu'il soit en droit inaccessible à un savoir scientifique, pour qu'il ne puisse être érigé en objet d'une science de la nature ?



(... à peu près toute cette conférence, en fait ...)



Il semble donc bien que la fiction hors-science puisse devenir un genre à part entière, puisqu'elle dispose de divers procédés susceptibles d'étayer une narration malgré le désordre ambiant du monde configuré, et surtout possède un prototype réel conforme aux exigences que nous avons édictées. Mais ce genre ne pourrait-il pas dépasser l'intérêt - honorable mais limité - du roman de jeunesse et d'aventures ? Il me semble qu'on pourrait aller plus loin : partir d'une science-fiction traditionnelle, la décomposer par un basculement du monde vers le hors-science, et poursuivre cette entreprise de dégradation vers un monde de moins en moins habitable, rendant le récit lui-même progressivement impossible , jusqu'à isoler certaines vies resserrées sur leur propre flux, au milieu de trouées. La vie fait l'expérience mentale d'elle-même sans la science et dans cet écart toujours plus accusé découvre peut-être quelque chose d'inédit concernant l'une ou l'autre. Variation eidétique poussée jusqu'à l'étouffement, expérience de soi dans un monde non expérimentable. Une intensité précaire plongerait à l'infini dans sa pure solitude, sans environnement autre que d'éboulis pour y explorer la vérité d'une existence sans monde.



(in Quentin Meillassoux, Métaphysique et fiction des mondes hors science, Aux forges de Vulcain, 2013)






C'est au problème "Humien" de l'induction à partir des observations que traite Meillasssoux dans ce petit livre ; pour Hume, seule l'habitude nous permet de tirer des conclusions sur des comportements futurs. La question est centrale pour la démarche scientifique.

Sans tomber dans les abîmes d'un monde physique où l'induction échoue "de droit" (c'est-à-dire  où l'habitude est sans cesse surprise, voire cesse simplement d'exister), on peut penser à un cas plus simple, celui du monde des relations sociales où les représentations mentales construites sur l'habitude deviennent de moins en moins efficaces au gré des évolutions de plus en plus rapides : "une existence sans monde", c'est un impressionnant abîme philosophique, "une existence sans monde social", nous y tendons ...