Dans Une saison à Venise (chez Rivages ; porté à l'écran par Jan Jakub Kolski, Wenecja), la fantaisie rêveuse de Marek tenait la guerre à distance, en étouffait un peu les échos, jusqu'à son irruption qui faisait voler en éclat cet écran dérisoire ; la guerre est d'emblée présente dans ces deux nouvelles qui poursuivent l'évocation de l'adolescence de Marek.
Court extrait de la première nouvelle :
Durant de longs jours, de longues semaines, il eut l'impression que tout était mort en lui ; parce que la découverte la plus bouleversante avait été qu'il pouvait arriver aux gens des choses bien pires que la mort. En particulier aux femmes. Mais combien de temps peut-on vivre dans cet état, sourd, insensible, renfermé, pensant à cette chose, jour après jour, semaine après semaine, se la rappeler, se réveiller la nuit avec toujours le même rêve, se redresser dans son lit, rester immobile et muet à regarder le vide obscur qui n'est même plus du chagrin mais seulement le remord indéfinissable de n'avoir pas fait quelque chose, mais quoi ? Car qu'aurait-il pu faire ? Tout au plus crier tout son soûl, vomir tous les mots qui s'étaient accumulés dans sa poitrine jusqu'à devenir un fardeau insupportable, alors qu'en réalité il n'avait que douze ans, qu'il était curieux de découvrir le monde et aurait voulu courir droit devant lui jusqu'à en perdre le souffle et atteindre une joyeuse ivresse. Il finit donc par se révolter. Il s'efforça de chasser au plus vite de sa mémoire le souvenir de ces corps de femmes mutilés, Wiktor et lui ne parlaient jamais à personne de ce qu'ils avaient vu dans la sablière, derrière les remparts, ils n'en discutaient jamais non plus entre eux, et il aurait peut-être réussi à oublier tout à fait, puisqu'il le voulait tant, s'il n'y avait eu Karola.
A mille lieux des grandes fresques (Les Bienveillantes de Jonathan Littell pour le pire, Les Disparus de Daniel Mendelsohn pour le meilleur), sans prétention à l'objectivité (Voisins de Jan Tomasz Gross ou Wy z Jedwabnego d'Anna Bykont ; je suppose que c'est ce livre qui vient de paraître en français sous le titre Le crime et le silence chez Denoël), un regard d'adolescent, regard dont le trouble est fidèlement ressaisi par un écrivain né en 1930.
(disponible chez Rivages 2010, traduit par Charles Zaremba)
Odojewski a beau être né à Poznań, c'est en Galicie que se déroule l'enfance et l'adolescence de Marek ; les indications de lieu sont rares et ne m'avaient pas frappé jusqu'à présent, sauf qu'à la relecture, il y a cette statue de Jean Népomucène sur une place, des remparts et, au-delà des remparts, une sablière ... Rien de tout cela n'est très spécifique : remparts et sablières sont des lieux communs de Galicie, les statues de Jean Népomucène, saint patron de la Bohème, ont poussé comme des champignons dans toute la Mitteleuropa ; il y en a une à Rzeszów mais pas sur une place ... sauf que ... cette statue est une grande voyageuse et elle était bien sur une place en un temps que je n'ai pas connu, à droite sur la carte postale ci-dessous de 1911 (elle a été déplacée en 1969, puis en 1981, et enfin en 2008 !). A croire qu'il n'y a vraiment pas de terrain de jeu innocent ... pas même les jolies sablières au bord du Wisłok ?
Comme si j'ignorais tout du ghetto de Rzeszów et de la forêt, entre Rzeszów et Głogów Małopolski ...