Quelques extraits :
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Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelque figure du futur auxquelles nous puissions attacher la moindre créance.
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Nous ne regardons plus le passé comme un fils regarde un père, mais comme un homme fait regarde un enfant ...
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Tout homme appartient à deux ères.
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On peut dire que tout ce que nous savons, c'est-à-dire tout ce que nous pouvons, a fini par s'opposer à ce que nous sommes.
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Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait d'après ses propriétés une maladie qu'elle guérisse, une soif qu'elle puisse apaiser, une douleur qu'elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d'enrichissement, des goûts et des désirs qui n'ont pas de racines dans notre vie physiologique propre, mais qui résultent d'excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées. L'homme moderne s'enivre de dissipations.
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Tantôt une tendance l'emporte, tantôt l'autre ; mais jamais, parmi tant d'arguments, jamais ne se produit la question essentielle :
- Que veut-on et que faut-il vouloir ?
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Vous le savez, mais vous ne l'avez peut-être pas assez médité,à quel point l'ère moderne est parlante. Nos villes sont couvertes de gigantesques écritures. La nuit même est peuplée de mots de feu.
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Le langage s'use en nous.
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Le texte de cette conférence prononcée en 1935 ressort chez Allia pour 3€ ; et, en prime, ceci, à propos d'orthographe française, qu'il fait du bien de lire :
"L'absurdité de notre orthographe qui est, en vérité, une des fabrications les plus cocasses du monde, est bien connue. Elle est un recueil impérieux ou impératif d'une quantité d'erreurs d'étymologie artificiellement fixées par des décisions inexplicables."
Ce sentiment de vivre à cheval sur deux ères antagonistes ou au mieux indépendantes (au sens des statisticiens, en ce sens que rien de l'une n'informe sur l'autre), cette rupture des fils du temps, la globalisation en a fait une expérience universelle à l'échelle de la planète. On pourrait espérer l'émergence d'une forme de condition humaine partagée à partir de cette commune expérience : c'est compter sans l'accélération de la technique ; les deux ères entre lesquelles nous sommes tous tiraillés ne sont déjà plus les mêmes entre générations : à vingt ans de distance, ces ères sont différentes non pas au sens habituel, bénin, d'un passé "que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" mais au sens d'une somme d'expériences devenues radicalement étrangères, incommunicables. Ce que l'accélération apporte de communauté humaine par le rétrécissement des distances, elle le vole dans la dilatation de la dimension temporelle : une vie, finalement, c'est suffisamment de temps pour devenir un parfait étranger à ses contemporains et c'est un autre mode de l'humanité au sens où on cherchait encore à l'entendre il y a ne serait-ce que cinquante ans qui vole en éclat.
Paradoxalement, cette accélération a aussi un effet potentiellement positif : nous faire passer du contrôle en boucle ouverte (en gros --que les théoriciens du contrôle me pardonnent ! -- agir sur un système sans pouvoir mesurer les conséquences de ces actions ; si on possède un modèle suffisamment fiable du système, le contrôle peut être effectif. Dans le cas contraire, on n'a pas d'autre garantie que celle du doigt mouillé), ce sentiment que souligne précisément Valéry que Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelque figure du futur auxquelles nous puissions attacher la moindre créance, à la possibilité d'un contrôle en boucle fermée en ce sens que, du fait de l'accélération, les conséquences des actions deviennent sensibles à une échelle de temps perceptible par ceux qui agissent.
Alors que l'échelle de temps d'une vie d'homme a fort peu changé (doublé, triplé peut-être), l'échelle de temps des modifications sociales s'est prodigieusement contractée, passant, en quelques milliers d'années d'une durée quasi-infinie (les sociétés "primitives", "sans histoire") à un durée de l'ordre d'une existence humaine : envisagé de cette façon, nous sommes en quelque sorte au point critique où la boucle de contrôle n'est pas encore "vraiment" refermée mais où la mesure de la "dérive" du système devient néanmoins possible dans des domaines de plus en plus nombreux.
Si les conditions du passage au contrôle en boucle fermée commencent à être remplies, reste néanmoins à refermer effectivement la boucle de contrôle et la condition de cela est de combattre ce "feuilletage" d'une humanité "spatialement globalisée" en tranches d'âge incapables de se communiquer mutuellement leurs expériences ; cela parle de transmission avec cette précision nécessaire qu'une transmission implique deux acteurs co-responsables du succès du processus : ce succès dépend autant de la volonté de transmettre que de la volonté de recevoir. Sans prise de conscience des modifications imposées à l'expérience humaine par l'expansion de la technique (ce qui ne correspond ni à une idéalisation du passé ni à une connaissance de l'ordre de celle que permettent les livres d'histoire), l'action, et tout particulièrement l'auto-limitation, est impossible.
Paradoxalement, cette accélération a aussi un effet potentiellement positif : nous faire passer du contrôle en boucle ouverte (en gros --que les théoriciens du contrôle me pardonnent ! -- agir sur un système sans pouvoir mesurer les conséquences de ces actions ; si on possède un modèle suffisamment fiable du système, le contrôle peut être effectif. Dans le cas contraire, on n'a pas d'autre garantie que celle du doigt mouillé), ce sentiment que souligne précisément Valéry que Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelque figure du futur auxquelles nous puissions attacher la moindre créance, à la possibilité d'un contrôle en boucle fermée en ce sens que, du fait de l'accélération, les conséquences des actions deviennent sensibles à une échelle de temps perceptible par ceux qui agissent.
Alors que l'échelle de temps d'une vie d'homme a fort peu changé (doublé, triplé peut-être), l'échelle de temps des modifications sociales s'est prodigieusement contractée, passant, en quelques milliers d'années d'une durée quasi-infinie (les sociétés "primitives", "sans histoire") à un durée de l'ordre d'une existence humaine : envisagé de cette façon, nous sommes en quelque sorte au point critique où la boucle de contrôle n'est pas encore "vraiment" refermée mais où la mesure de la "dérive" du système devient néanmoins possible dans des domaines de plus en plus nombreux.
Si les conditions du passage au contrôle en boucle fermée commencent à être remplies, reste néanmoins à refermer effectivement la boucle de contrôle et la condition de cela est de combattre ce "feuilletage" d'une humanité "spatialement globalisée" en tranches d'âge incapables de se communiquer mutuellement leurs expériences ; cela parle de transmission avec cette précision nécessaire qu'une transmission implique deux acteurs co-responsables du succès du processus : ce succès dépend autant de la volonté de transmettre que de la volonté de recevoir. Sans prise de conscience des modifications imposées à l'expérience humaine par l'expansion de la technique (ce qui ne correspond ni à une idéalisation du passé ni à une connaissance de l'ordre de celle que permettent les livres d'histoire), l'action, et tout particulièrement l'auto-limitation, est impossible.