lundi 25 avril 2011

La Tour Rose -- De Chirico



Giorgio de Chirico
La Torre Rossa (1913)



La Tour Rose de Chirico, à l'exposition Guggenheim de l'Orangerie. Plusieurs éléments parfaitement distincts  concourent au déclic que le tableau opère dans l'imagination.  La très légère incurvation convexe du sol de la place, incurvation cosmique, qui est celle de la courbure de la sphère, et qui étend à l'infini, par ce simple raccourci expressif, le champ ouvert par le tableau. Le centrage lumineux rigide qui exalte la majesté du tableau : toute la lumière est pour le rose du couchant qui se pose sur la tour, au milieu exact de la toile. L'équivalence, instable, qui s'établit pour l'esprit entre le rose du crépi et le rose du couchant : elle laisse pressentir que le monument, suscité par une qualité exigeante de l'éclairage, ne se manifeste vraiment qu'à une certaine heure élue, sous la forme exclusive de l'apparition. La compression, la réduction emblématique de la ville, figurée jusque sur ses confins par des attributs qui sont, électivement, ceux de son centre monumental (les arcades et les statues équestres), tandis que le fond de la place, avec ses chaumières accolées à la tour, est déjà entièrement campagnard ; au travers de cette place aux dimensions imprécises, qui est déjà un no man's land, on franchit une frontière onirique qui fait du tableau dans sa profondeur un tableau mi-parti, un battement de porte entre deux mondes, saisi dans l'immobilité irréelle du rêve éveillé.


(in Julien Gracq, Carnets du grand chemin, Corti 1992)


Musardé toute la journée en compagnie de Gracq (les Manuscrits de guerre de Louis Poirier / Julien Gracq qui viennent de sortir chez Corti, en particulier, mais aussi, car la guerre y mène, Le rivage des Syrtes, Un balcon en forêt et ces Carnets du grand chemin) ... au lieu de couper le bois ! Bah, l'hiver est encore loin.