Extrait :
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Je vous ai rencontré il y a longtemps. En ces époques de nos luttes adolescentes contre le colonialisme. La Négritude, alors, nous était nécessaire. Elle affermissait nos poings. Elle diminuait nos incertitudes. Elle nous dessinait de fortes convictions et d'augustes vérités. Nous n'avions pas besoin de vous en ce temps-là. Vous étiez de l'autre côté. Et votre éclat même, la force de votre dire, nous les rangions dans le sillage des dédaigneux conquistadores. Entre mes mains, vos livres sont longuement demeurés endormis. Ils attendaient que je me construise.
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Nous vous opposions à Césaire. Césaire était l'esclave en lutte. Et vous étiez le Maître. Cela créait les pôles d'une dynamique stimulante. Nous avions besoin de ces lectures très pauvres qui servaient de combustible aux luttes que nous menions. Nous ne savions pas à quel point cette lecture appauvrissait Césaire tout autant qu'elle vous appauvrissait. Nous n'avions pas compris que, chez de grands poètes, placés par le malheur dans une terre coloniale, le témoignage serait toujours entier. J'ai appris à ne rechercher ni l'esclave, ni le Maître, mais à questionner nos humanités dans leurs grandeurs et leurs abîmes, confrontées à l'esclavage et la domination. Perse, il y a de l'esclave en vous. Il y a du Maître, chez Césaire. C'est pourquoi, tous les deux, vous témoignez à votre manière d'un état de l'humaine condition.
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Je vous ai oublié en des temps de nouvelles certitudes. Je différais l'Afrique pour plonger en moi-même, dans un pays natal qui ne serait pas fait des terres que nous avions perdues. Un pays natal qui serait autre chose. Je plongeais en moi-même à la recherche d'une racine majeure. De ces cavernes intimes, je ne ramenai que le trouble, l'obscur et l'incertain d'une grande diversité. Le monde lui-même, entrait autour de nous dans d'inédites poussées, qui renversaient nos anciens murs et nos vieilles cathédrales. Nous devions apprendre à vivre et à penser le fluide, le trouble, le rapide, l'incertain, le mobile incessant de ce que nous étions. Et c'est là, que je vous retrouvai.
10
Saint-John Perse, je vous relis maintenant. C'est comme vous lire dans une autre liberté. Avec d'autres soucis et d'autres exigences. Maintenant que mes quarante ans pèsent, vous m'accompagnez avec Glissant, avec Char, avec Villon, avec Rabelais, avec tous ceux qui aujourd'hui m'aident à vivre l'énigme nouvelle de la Pierre-monde. Je vais aux périls de votre verbe, à ses dangers, et aux risques que vous prenez; je verse dans vos réussites, je m'abreuve à vos mystères; et j'en ramène ce sentiment d'admiration qui, dans nos terres dominées, est pour moi à la base de tout acte créateur.
Si vous êtes parvenus jusqu'ici, vous savez ce qui vous reste à faire : le texte entier est ici !