Raymond Depardon
San Clemente
Que possèdes-tu en propre ?
Une parole dans ta bouche.
Prends son sens et voile-le.
Viens au monde dans un halo de crépuscule.
Tends la main et mendie ta récompense.
Grêlent les cris sur un monde apeuré.
Sauve-toi déguisé en ombre.
Rabaissé, réduit à rien, affaibli, épuisé.
Que la neige enfouisse la tour de ton chant.
Chasse ton héritier.
Repousse ton dernier descendant.
Anéantis les reins dont tu es issu.
Ta langue - dans la bouche d'un vieux perroquet.
L'éclair dans tes yeux sera bientôt éteint.
Avec toi dans l'hospice en face sur un banc -
Le Dieu de tes ancêtres vieux et malade.
Le puissant le superbe le triste Dieu
Est maintenant un mendiant méprisé.
Ne le blasphème pas. Sois son Levi-Itzhok.
Cherche des excuses pour un Juif supplicié.
Dans la somnolence d'un chœur tissé de toiles d'araignée
Rêvent les vestiges d'une dernière génération.
(extrait de Fun maïn ganzer mi, New york 1956, traduit par Rachel Ertel ; in Rachel Ertel, Dans la langue de personne - Poésie yiddish de l'anéantissement, Seuil, 1993)