Le Génie du Cœur, tel que le possède ce grand Mystérieux, ce dieu tentateur, né pour être le charmeur de rats des consciences, dont la voix sait descendre jusqu'au monde souterrain de chaque âme ... qui ne dit pas un mot, ne jette pas un regard où ne se cache une intention secrète de séduire ... le Génie du Cœur, qui impose silence aux braillards et aux fats et leur enseigne à écouter, qui polit les âmes rugueuses et leur fait goûter un désir nouveau, celui de demeurer lisses et immobiles comme un miroir pour refléter le ciel profond ... Après son attouchement, chacun repart enrichi, non d'un présent reçu par grâce ou par surprise, ni d'une félicité étrangère dont il se sentirait oppressé, mais plus riche de soi-même, renouvelé à ses propres yeux ... caressé et mis à nu par le souffle tiède du dégel, peut-être aussi plus incertain, plus vulnérable, plus fragile, plus brisé, plein d'espérances qui n'ont pas encore de nom.
(Nietzsche, Ecce Homo, cité dans Pierre Hadot, Éloge de Socrate, Allia 2010)
Ces lignes, initialement publiées dans Par delà le bien et le mal (295) et explicitement rapportées à Dyonisos sont reprises dans Ecce Homo assorties de l'avertissement "j'interdis d'ailleurs toute spéculation quant à la personne que je décris dans ce passage".
Pierre Hadot y voit se dessiner la personne de Socrate ; son bref éloge qui fait la part belle à Kierkegaard (qui savait qu'il n'était pas chrétien et qui armé de ce seul savoir démolissait la chrétienté des églises) et à Nietzsche (qui ne cesse d'osciller de la fascination au dégoût à propos de Socrate ; comment comprendre ses dernières paroles "O Criton, je dois un coq à Asclepios" ? De quoi guérit donc Socrate quand il meurt ?) vous en convaincra.
Profond, savant et incroyablement accessible, comme souvent avec Pierre Hadot (voir aussi Eloge de la philosophie antique, également chez Allia, leçon inaugurale qu'il prononça en 1989 à l'occasion de la création de la chaire d'histoire de la pensée hellénistique et romaine au Collège de France).