Paru aux éditions Raisons d'agir en 2000 (on y compte en francs !), le complément indispensable à L'économie des Toambapiks.
Un excellent petit livre qui dresse un portrait acide des principales théories de l'emploi et du chômage. Avec en prime la confirmation, pour ceux qui comme moi sont venus à l'économie par le biais des mathématiques, de l'optimisation et des systèmes dynamiques, que le soupçon que tout s'arrangeait trop bien dans les hypothèses soit-disant classiques (un peu comme dans ces exercices où les termes ennuyeux ont la gentillesse de disparaître ... sauf qu'un exercice, comme son nom l'indique, n'a pas d'autre prétention que de préparer aux vrais problèmes !) n'était pas du à un intérêt pervers pour les complications mais bien le résultat d'une volonté d'obtenir avec un minimum d'efforts (il n'y a pas que le salarié qui soit tire-au-flanc) une solution compatible avec quelques préjugés trop inavouables pour pouvoir être présentés sans les affriolants atours de la Science.
Un autre mérite de ce livre est de rappeler opportunément que si les théories présentées sont exactes (et, en particulier, l'ensemble de leurs fondements "anthropologiques", dont l' "acteur rationnel"), elles sont alors très ambivalentes : dans ce cas, le chômage doit être compris comme le résultat d'un comportement rationnel des salariés sur le marché du travail (formation de syndicats tenant un rôle de cartels sur le marché, instauration d'un salaire minimal et constitution de caisses d'assurance, bref, construction des fondements de l' "État-Providence" tant décrié) et, à ce titre, on ne voit pas pourquoi il faudrait absolument "forcer" ce marché à revenir au plein emploi en brisant le salaire minimal et en enclenchant la spirale de diminution des salaires, sauf à penser que le seul rôle du marché du travail est d'assurer aux employeurs une quantité de travail potentiellement infinie à coût nul. Cela irait plus vite de le dire sous cette forme !
Enfin, ce livre rappelle également fort opportunément que le coût du travail n'est pas seul en cause quand il s'agit pour un employeur d'embaucher ou non : embaucher plus pour produire plus, soit mais quid des produits ? Si le surplus de production amené par cette embauche ne trouve pas à s'écouler sur le marché, soit qu'il soit déraisonnable de penser que tous les ménages s'équipent d'une cinquième voiture, soit que les clients ne soient pas en mesure de l'acheter pour cause de revenus insuffisants, inutile de dire que l'employeur ne fera pas cette embauche !
Excellent aussi, le passage final qui rappelle que décidément, le salarié est bien, par essence oserait-on dire, cause de ses propres maux : qu'il soit puni par le chômage de sa poltronnerie, de sa paresse, de sa méchanceté ou de sa roublardise, rien que de très naturel, n'est-ce pas ? On est là au niveau de la Comtesse de Ségur, qui ne s'embarrassait pas, elle, de calculs pour ses contes. Mais, sans la théorie économique, se serait-on aussi avisé que, fort opportunément, sa vertu même (celle du salarié, pas de la Comtesse !) est également cause de chômage ? Quelle meilleure illustration du fait que la Divine Providence (sous la forme du Divin Marché) veille décidément sur l'employeur et récompense avec justice ses mérites considérables, dont il serait malvenu de douter.
Un autre compte-rendu du livre, ici.
Je me proposais de photocopier l'introduction mais quelqu'un a fait ailleurs l'effort de la recopier. Et, en passant, allez aussi jeter un œil sur cet autre article de Laurent Cordonnier !