mercredi 1 décembre 2010

All God's dangers, The life of Nate Shaw -- Theodore Rosengarten


"All God's dangers ain't white men."

Plus de suspense, "Nate Shaw" est bien Ned Cobb (1885-1973), ce fermier noir dont il est question dans  In Aegypt Land, ce poème-fleuve de John Beecher qui évoque la lutte des fermiers noirs et blancs (certes de façon minoritaire mais nous sommes en Alabama dans les années 20-30 et l'existence même d'organisations, les sharecroppers unions, pouvant regrouper noirs et blancs est une sorte de miracle historique qui témoigne à la fois de l'extrême violence des rapports sociaux - un cycle infernal d'exploitation par la dette parfaitement expliqué dans le livre - et de la misère dans laquelle les ravages du boll-weevil plongeaient les cultivateurs de coton) et la violence qui leur fut infligée dans le plus parfait silence. L'Alabama allait dès lors marcher à l'arrière-garde des états ségrégationnistes.

Le génie de Theodore Rosengarten est de s'effacer complètement derrière "Nate Shaw" après une brève préface qui situe historiquement le recueil de la matière du livre (la fin des années 60, 1969 exactement, avec le mouvement anti-ségrégationniste en arrière-plan ; "These are my people" dit le vieux Ned Cobb à propos de ces deux jeunes étudiants blancs un rien paumés venus l'interviewer dans le fond de l'Alabama, signe qu'en dépit des injustices subies, il restait clairvoyant et reconnaissait toujours ses alliés par-delà la barrière de la couleur de peau). Le livre prend la fome d'un fleuve de paroles contant l'histoire orale d'un coin Alabama et de ses habitants, aussi complète qu'une mémoire d'homme peut le permettre, et l'histoire d'un homme d'exception dont le père est né sous l'esclavage et qui n'aura eu de cesse de chercher à atteindre ce à quoi ses talents lui donnaient droit et que sa couleur et l'histoire lui interdisaient.

Indispensable à tous ceux qui lisent l'anglais; la langue, pour présenter quelques particularités "locales", se lit sans la moindre difficulté.
En plus d'une leçon de courage et d'une leçon d'histoire, vous apprendrez aussi à harnacher une mule, à préparer votre champ pour y semer du coton, à déhaler des billes de bois, toutes choses qui vous seront sûrement indispensables par ces temps de décroissance (bon, pour le coton, en Bretagne, je ne suis pas trop sûr ...).Juste pour signaler qu'à moins d'être incollable sur tout le vocabulaire de la ferme d'antan, un bon dictionnaire est parfois nécessaire.

Inexplicablement non traduit en français.


Un extrait qui amuserait peut-être Paul Jorion ; la conception marginaliste du prix du coton ne semble pas adéquate ! Les deux dernières phrases sont importantes, qui doublent l'interprétation immédiate en termes de "simple" racisme par une interprétation plus directement ancrée dans l'exploitation et le rapport de force le plus nu.



Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


(Random House, 1974 ; National Book Award en 1975, réédité à de nombreuses reprises, 1989 pour mon édition)