lundi 6 décembre 2010

Shibboleth -- Paul Celan

 
Mitsammt meinen Steinen,
den großgeweinten
hinter des Gittern,

schleiften sie mich
in die Mitte des Marktes,
dorthin,
wo die Fahne sich aufrollt, der ich
keinerlei Eid schwor.

Flöte,
Doppelflötte des Nacht :
denke der dunklen
Zwillingsröte
in Wien und Madrid.

Setzt diene Fahne auf Halbmarst,
Erinnrung.
Auf Halbmast
für heute und immer.

Herz :
gib dich auch hier zu erkennen,
hier, in der Mitte des Markets.
Ruf's, das Schibboleth, hinaus
in die Fremde der Heimat :
Februar. No pasarán.

Einhorn :
du weißt um die Steine,
du weißt um die Wasser,
komm,
ich fürh dich hinweg
zu den Stimmen
von Estramadura.

(in Von Schwelle zu Schwelle
Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1955)



Schibboleth

Avec mes pierres, les grandes,
pleurées derrière les grilles,
on me traîne sur la place publique,
où se déroule un drapeau
à qui nul serment me lie.

Flûte,
double flûte de la nuit,
souviens-toi du sombre
rougeoiement jumelé
de Vienne et de Madrid.

Mets en berne ton drapeau,
Souvenir.
En berne,
pour aujourd'hui et pour toujours.

Cœur :
même ici manifeste-toi,
ici, sur la place publique.
Clame le Shibboleth
dans ton pays étranger :
Février, No pasarán!

Licorne :
tu sais ce qu'il en est des pierres,
tu sais ce qu'il en est des eaux,
viens,
je t'emmène avec moi
vers les voix d'Estrémadoure.

traduction Jean-Pierre Wilhelm
1955
(excellente) source
ou le dossier Jean-Pierre Wilhelm
en annexe (*) du volume traduit 
par Jean-Pierre Lefebvre (infra)


Schibboleth

Avec toutes mes pierres,
grandies dans les pleurs
derrière les grilles,

ils m'ont traîné
jusqu'au milieu du marché,
jusqu'au lieu
où se déroule le drapeau auquel je n'ai
prêté aucune espèce de serment.

Flûte,
double-flûte de la nuit :
songe à la sombre aurore jumelle
à Vienne et Madrid.

Mets à mi-hampe ton drapeau,
souvenir.
A mi-hampe,
pour aujourd'hui et à jamais.

Cœur :
là aussi fais-toi connaître,
là, au milieu du marché.
Crie-le, le schibboleth, à toute force
dans l'étrangeté du pays :
février, No pararán.

Licorne :
tu sais bien ce qu'il en est des pierres,
tu sais bien ce qu'il en est des eaux,
viens, je t'emmène loin
chez les voix
de l'Estrémadure.

(in Paul Celan : Choix de poèmes,
traduction de Jean-Pierre Lefebvre,
Poésie/Gallimard, 1998)



(*) Sur le fac-simile (mal) reproduit en annexe, une note de la main de Celan ajoute en marge de la traduction de "hinter des Gittern" par "derrière les grilles" ce qui semble être "les barreaux" ; "hinter Gittern sein" se dit effectivement pour "être en prison". Le "pour toujours" est aussi annoté par "à jamais".

Son poème jumeau un peu plus tard ...