Il est bien difficile de dormir. D'abord les couvertures ont toujours un poids formidable et, pour ne parler que des draps de lit, c'est comme de la tôle.
Si on se découvre entièrement, tout le monde sait ce qui se passe. Après quelques minutes d'un repos d'ailleurs indéniable, on est projeté dans l'espace. Ensuite, pour redescendre, ce sont toujours des descentes brusques qui vous coupent la respiration.
Ou bien, couché sur le dos, on soulève les genoux. Ce n'est pas préférable, car l'eau que l'on a dans le ventre se met à tourner, à tourner de plus en plus vite ; avec une pareille toupie, on ne peut dormir.
C'est pourquoi plusieurs, résolument, se couchent sur le ventre -- mais, aussitôt -- ils le savent, mais tant pis, disent-ils -- ils tombent, ils tombent dans quelque abîme profond, et si bas qu'ils soient, il y a toujours quelqu'un qui leur tape du pied dans le derrière pour les enfoncer, encore plus bas ... plus bas.
Aussi, l'heure d'aller dormir est pour tant de personnes un supplice sans pareil.
in Mes propriétés (1930), repris dans La nuit remue (Gallimard, 1967).