dimanche 19 décembre 2010

Comment faire ? -- Tiqqun



Portulan de Maggiolo (1541)



Comment faire ? est la question des enfants perdus. Ceux à qui l’on n’a pas dit. Ceux qui ont les gestes mal assurés. À qui rien n’a été donné. Dont la créaturalité, l’errance ne cesse de se trahir.
La révolte qui vient est la révolte des enfants perdus.
Le fil de la transmission historique a été rompu.
Même la tradition révolutionnaire nous laisse orphelins. Le mouvement ouvrier surtout. Le mouvement ouvrier qui s’est retourné en instrument d’une intégration supérieure au Processus. Au nouveau Processus, cybernétique, de valorisation sociale.
(...)
La critique est devenue vaine. La critique est devenue vaine parce qu'elle équivaut à une absence. Quant à l'ordre dominant, tout le monde sait à quoi s'en tenir. Nous n'avons plus besoin de théorie critique. Nous n'avons plus besoin de professeurs. La critique roule pour la domination. Même la critique de la domination.
Elle reproduit l'absence. Elle parle de là où nous ne sommes pas. Elle nous propulse ailleurs. elle nous consomme. Elle est lâche. Et reste bien à l'abri
quand elle nous envoie au carnage.
Secrètement amoureuse de son objet, elle ne cesse de nous mentir.
D'où les si courtes idylles entre prolétaires et intellectuels engagés.
Ces mariages de raison où l'on a pas la même idée ni du plaisir ni de la liberté.
Plutôt que de nouvelles critiques, c'est de nouvelles cartographies
que nous avons besoin.
De cartographies non de l'Empire, mais des lignes de fuite hors de lui.
Comment faire ? Nous avons besoin de cartes. Non pas de cartes de ce qui est hors carte. Mais de cartes de navigation. De cartes maritimes. D'outils d'orientation. Qui ne cherchent pas à dire, à représenter ce qu'il y a à l'intérieur des différents archipels de la désertion, mais nous indiquent comment les rejoindre.
Des portulans.


(...)


Il y a tout un luddisme à réinventer, un luddisme des rouages humains qui font tourner le Capital.
(...)
Il y a des auteurs aussi
chez qui c'est tout le temps
la grève humaine.
Chez Kafka, chez Walser,
ou chez Michaux,
par exemple.
(...)
La grève humaine, aujourd'hui, c'est
refuser de jouer le rôle de la victime.
S'attaquer à lui.
Se réapproprier la violence.
S'arroger l'impunité.
Faire comprendre aux citoyens médusés
que s'ils n'entrent pas en guerre ils y sont quand même.
Que là où l'ON nous dit que c'est ça ou mourir, c'est toujours
en réalité
ça et mourir.

Ainsi,
de grève humaine
en grève humaine, propager
l'insurrection
ou il n'y a plus que,
où nous sommes tous
des singularités
quelconques.



in Comment faire ? paru dans Tiqqun 2, repris aux Belles Lettres (Le Silence Qui Parle en donne le scan) et à La Fabrique dans Contributions à la guerre en cours.