Parmi les analyses de Jean-François Billeter qui ont complètement renouvelé la lecture de Tchouang-Tseu figurent celles relatives à la nouvelle forme de subjectivité que cette lecture suggère, débarrassée du dualisme corps/esprit et qui ne fait plus de l'intentionnalité la clé de voûte de l'édifice (voir en particulier l'annexe consacrée à l'hypnose dans ses Études sur Tchouang-Tseu, chez Allia).
Curieusement, Jean-François Billeter n'accorde pas beaucoup d'intérêt à ce qu'il nomme "la prose des phénoménologues", encore qu'il accorde au Descartes des Méditations d'être passé bien près de la même expérience et d'en avoir fidèlement rendu compte. Il est vrai que le style pachydermique de la phénoménologie supporte mal la comparaison avec le Tchouang-Tseu que ses traductions révèlent. Peut-être aussi les soupçonne-t-il de chercher plus une théorie de l'Être qu'une théorie du sujet.
Cette remise en cause du primat de l'intentionnalité (le régime d'activité de l'humain, qui ne produit rien de décisif, par opposition au régime d'activité du Ciel, instantanément efficace et qui ne repose pas sur l'intentionnalité mais trouve son origine dans l'activité non intentionnelle du corps) me remet en mémoire les expériences (datant des années 1960) de Benjamin Libet dont l'interprétation la plus "simple", au sens du rasoir d'Occam, est que les mouvements volontaires ne peuvent pas être produits intentionnellement.
Évidemment, cette interprétation ne satisfait pas les tenants d'une conception traditionnelle du sujet et cette expérimentation a donné lieu à force théories alternatives dont certaines ne sont pas loin de faire tourner des guéridons.
Ces expériences laissent à la conscience la possibilité d'empêcher un acte ; elle lui rendent un rôle assez différent de celui qu'on lui reconnaît habituellement, celui d'enregistrer "ce qui marche et ce qui ne marche pas et dans quelles circonstances" et de piloter (sur des échelles de temps longs) de façon à se placer dans des situations qui assurent le succès et à éviter les situations qui provoquent les échecs. Où l'on retrouve le régime d'activité de l'humain.
Ces expériences ont également été commentées par Paul Jorion dans cet article.
On peut aussi lire l'article de Soon et al, "Unconscious determinants of free decisions in the human brain".