Giotto di Bondone (1267-1337)
François d'Assise prêchant aux oiseaux
Eglise san Francesco, Assise (1296-1299)
" Les anciennes sagesses sont perdues, les formes oubliées à jamais. Le mal est accompli, il n'y a plus rien à faire. Pas de salut de ce côté. Jadis, un adolescent pouvait rêver, devenir prêtre, roi, juge, soldat, sans se couvrir de honte, sans se ridiculiser devant les clairvoyants du siècle.
Cela avait un sens terrible et resplendissant. Cela, hier encore, gardait un semblant de sens. Mais maintenant, c'est la mort, c'est la fin ... ou la résurrection des siècles.
Aujourd'hui, à chaque homme reste une tâche, arracher toutes les peaux mortes, les dépouilles sociales, se dénuder jusqu'à se trouver lui-même.
Le temps des noms vivants est mort, bien mort. Dans la nuit, plus de noms, plus de formes.
C'est maintenant qu'il convient de lire l’œuvre de Rilke, parce qu'elle pose dans toute son horreur le problème qui nous rend fous, parce qu'elle dit le mal qui nous tue : la mort des religions.", écrivait Arthur Adamov dans la préface de 1940 à sa traduction de Das Buch von der Armut und vom Tode, poème que Rilke écrivit en 1903.
Son travail de traduction doit s'apprécier sous cet angle, resserrant, décharnant le poème autour de cette seule thématique, abandonnant comme on peut le voir dans le final tous les accents élégiaques (les parties non traduites sont en italiques ci-dessous).
"En dénudant le texte, j'ai la conviction intime que nous sommes allés dans le sens même où Rilke plus tard s'est engagé. Traduire littéralement, c'eût été trahir l'Esprit.", écrit encore Adamov en exergue. C'est évidemment ce point de vue rétrospectif, ce "plus tard", que discuteront d'autres traducteurs. Cette traduction, qui revendique la fidélité à l'Esprit contre le poème, donne naissance à un autre poème, plus haletant, plus halluciné que son original.
Die Städte aber wollen nur das Ihre
und reißen alles mit in ihren Lauf.
Wie hohles Holz zerbrechen sie die Tiere
und brauchen viele Völker brennend auf.
Les grandes villes ne pensent qu'à elles-mêmes
et entrainent tout dans leur hâte dévorante ;
elles brisent la vie des bêtes comme du bois
mort et consument des peuples entiers dans leur tourment.
Und ihre Menschen dienen in Kulturen
und fallen tief aus Gleichgewicht und Maß,
und nennen Fortschritt ihre Schneckenspuren
und fahren rascher, wo sie langsam fuhren,
und fühlen sich und funkeln wie die Huren
und lärmen lauter mit Metall und Glas.
Et les hommes asservis à une fausse science
s'égarent ayant perdu le rythme de la vie
et parce qu'ils vont plus vite vers des bruits aussi vains
ils appellent progrès leur traînée de limace.
Et ils font parade de leur impudeur comme des filles
et s'étourdissent au bruit du métal et du verre.
Es ist, als ob ein Trug sie täglich äffte,
sie können gar nicht mehr sie selber sein;
das Geld wächst an, hat alle ihre Kräfte
und ist wie Ostwind groß, und sie sind klein
und ausgeholt und warten, daß der Wein
und alles Gift der Tier- und Menschensäfte
sie reize zu vergänglichem Geschäfte.
Ils vont sans cesse obsédés d'un mirage
qui les pousse hors d'eux-mêmes.
L'or règne en tyran et use toutes leurs forces ...
Et ce n'est que sous le fouet de l'alcool et des autres poisons
qu'ils persistent dans leur agitation stérile.
Und deine Armen leiden unter diesen
und sind von allem, was sie schauen, schwer
und glühen frierend wie in Fieberkrisen
und gehn, aus jeder Wohnung ausgewiesen,
wie fremde Tote in der Nacht umher;
und sind beladen mit dem ganzen Schmutze,
und wie in Sonne Faulendes bespien, -
von jedem Zufall, von der Dirnen Putze,
von Wagen und Laternen angeschrien.
Et les pauvres souffrent, asservis sous ce joug
et tout ce qu'ils voient les accable.
Ils sentent sur leur peau les frissons de la fièvre
et rôdent dans la nuit comme des âmes en peine ;
ils sont rejetés avec tous les déchets de la ville
et engendrent le dégoût comme la charogne étalée au soleil.
Au hasard des rues, tout les insulte et les rebute :
le fard cynique des filles et le fracas éblouissant des voitures ...
Und giebt es einen Mund zu ihrem Schutze,
so mach ihn mündig und bewege ihn.
Mais s'il est encore une voix pour prendre leur défense,
fais qu'elle sonne haut, mon Dieu, et qu'on l'entende.
O wo ist der, der aus Besitz und Zeit
zu seiner großen Armut so erstarkte,
daß er die Kleider abtat auf dem Markte
und bar einherging vor des Bischofs Kleid.
Der Innigste und Liebendste von allen,
der kam und lebte wie ein junges Jahr;
der braune Bruder deiner Nachtigallen,
in dem ein Wundern und ein Wohlgefallen
und ein Entzücken an der Erde war.
Où donc est celui qui sut tirer sa force d'une grande pauvreté
au-delà du temps et de toute possession,
celui qui osa se dévêtir sur la place publique
et marcher nu au mépris de l’évêque ?
Où est-il le plus aimant de tous les hommes,
le frère aux pieds nus des bêtes des champs
qui savait voir l'éternité dans chaque chose ?
Denn er war keiner von den immer Müdern,
die freudeloser werden nach und nach,
mit kleinen Blumen wie mit kleinen Brüdern
ging er den Wiesenrand entlang und sprach.
Und sprach von sich und wie er sich verwende
so daß es allem eine Freude sei;
und seines hellen Herzens war kein Ende,
und kein Geringes ging daran vorbei.
Il n'était pas comme ces hommes perclus de fatigue
qui voient l'espoir s'éloigner d'eux de plus en plus.
Il allait par les prés en parlant aux fleurs
comme on parle à des frères.
Il parlait de lui et de ce qu'il voyait
pour que chacun pût partager sa joie
et son cœur lumineux s'épanchait sans limites
et rien n'était trop humble pour son amour.
Er kam aus Licht zu immer tieferm Lichte,
und seine Zelle stand in Heiterkeit.
Das Lächeln wuchs auf seinem Angesichte
und hatte seine Kindheit und Geschichte
und wurde reif wie eine Mädchenzeit.
Il venait de la lumière et allait vers une lumière plus grande
et sa cellule était pleine d'allégresse.
Und wenn er sang, so kehrte selbst das Gestern
und das Vergessene zurück und kam;
und eine Stille wurde in den Nestern,
und nur die Herzen schrieen in den Schwestern,
die er berührte wie ein Bräutigam.
Dann aber lösten seines Liedes Pollen
sich leise los aus seinem roten Mund
und trieben träumend zu den Liebevollen
und fielen in die offenen Corollen
und sanken langsam auf den Blütengrund.
Und sie empfingen ihn, den Makellosen,
in ihrem Leib, der ihre Seele war.
Und ihre Augen schlossen sich wie Rosen,
und voller Liebesnächte war ihr Haar.
Und ihn empfing das Große und Geringe.
Zu vielen Tieren kamen Cherubim
zu sagen, daß ihr Weibchen Früchte bringe, -
und waren wunderschöne Schmetterlinge:
denn ihn erkannten alle Dinge
und hatten Fruchtbarkeit aus ihm.
Und als er starb, so leicht wie ohne Namen,
da war er ausgeteilt: sein Samen rann
in Bächen, in den Bäumen sang sein Samen
und sah ihn ruhig aus den Blumen an.
Er lag und sang. Und als die Schwestern kamen,
da weinten sie um ihren lieben Mann.
O wo ist er, der Klare, hingeklungen?
Was fühlen ihn, den Jubelnden und Jungen,
die Armen, welche harren, nicht von fern?
Où s'en est-il allé, l'être de lumière, le rayonnant d'amour ?
Et pourquoi les pauvres qui n'ont que leur espoir pour les guider
ne voient-ils plus au loin son fanal dans la nuit ?
Was steigt er nicht in ihre Dämmerungen -
der Armut großer Abendstern.
Que ne se lève-t-il dans leur crépuscule
lui, l'étoile du soir de la grande pauvreté.
La traduction d'Arthur Adamov est disponible chez Actes Sud, 1982. Le texte allemand est en ligne
ici (en quelques clics ... Home--Gedichte--Das Studen-Buch--Das Buch von der Armut und vom Tode), entre autres.
Une traduction "moins engagée" est publiée chez
Arfuyen (bilingue) par Jacques Legrand.