dimanche 13 novembre 2011

The ballad of Genesis and Lady Jaye -- Marie Losier


The light that shine twice as bright burns half as long

(relevé sur la couverture de In the shadow of the sun,
musique de Throbbing Gristle pour un film de Derek Jarman)


COUM Transmission, Throbbing Gristle, Psychic(k) TV, Thee Majesty ... si cela ne vous dit pas grand chose, il est probable que rien ne vous incline a priori à aller voir The ballad of Genesis and Lady Jaye (Marie Losier, avec une bande-son de Bryin Dall), s'il passe encore près de chez vous. 

N'hésitez pourtant pas : un portrait de Genesis P. Orridge aurait pu tourner à l'hagiographie pénible, au grand guignol ou à l'exhibition(isme) d'un monstre de foire tant le personnage semble défier toute notion de normalité.

Question d'angle, c'est à tout le contraire qu'on est convié, ce documentaire est un "tombeau", au sens littéraire du terme, le tombeau de Lady Jaye Breyer (1969-2007), compagne de Genesis, membre de la dernière incarnation de Psychic TV. Évocation sensible et affectueuse d'un couple fusionnel, au-delà du cliché convenu, traversée de rappels sur la trajectoire de Neil Andrew Megson, des humiliations de la public school aux rencontres avec William Burroughs et Brion Gysin, de quelques trop brèves réflexions sur le cut-up et ce qu'il enseigne de la "réalité" ou plutôt de son inexistence.

A la sortie de la séance, un spectateur relevait le tournage essentiellement en super 8 (ou quelque chose d'équivalent) créant un contraste avec le modernisme de la démarche de Genesis ; bien vu pour le super 8 mais pas pour le reste, me semble-t-il. Question de génération, peut-être, mais il est au contraire parfaitement naturel d'avoir choisi (Marie Losier aurait pu filmer en numérique, "comme tout le monde") cet attirail oublié.


En hommage aux fabuleux bidouillages électromécaniques et électroniques de Throbbing Gristle, d'une part : 

AW: The gear that you were using, was it expensive, or was it cheap?
GPO: It was free [laughs]. The bass guitar that we used was left behind by somebody in our basement. [It] didn’t have strings, didn’t have pickups…so we bought two humbucker pickups and stuck ‘em in; we didn’t realize they were meant for lead guitars. Chris [Carter] built his own synthesizer out of modules that he saw in electrician magazines. Sleazy just used some Walkmen and Sony tape decks. And Cosey [Fanni Tutti] bought her guitar at Woolworth’s for 15 pounds. We made our own speaker cabinets. It was as cheap as it could be.
AW: There’s something cool about having that direct a relationship with the shit you’re making sounds out of. It’s not something where you have to learn some other person’s vision, like scroll through menus and acquiesce…
GPO: …we made our own effects pedals, the Gristle-izer, as well.
AW: What was the Gristle-izer?
GPO: It was some circuits that Chris found in a magazine that they said would be good for distortion, and built one each for us, the whole TG sound is those.
AW: Do you have that kind of gear still?
GPO: My Gristle-izer was burned to death in L.A. in ’95, sadly…Sleazy’s just stopped working and couldn’t be repaired, cause now they don’t make the same parts. He tried to make a new one and it just didn’t sound the same. So they’re all gone, from wear and tear, we don’t have ‘em anymore.
 (le reste de cet entretien-fleuve, ici ; excellent !)

Pour resituer Genesis dans sa génération (au hasard, Boyd Rice, Monte Cazazza, Z'ev), d'autre part, celle qui fermera les années 70 et qui avec au moins trente ans d'avance inscrira l'ensemble de sa démarche dans une lutte au corps à corps contre la Machine : la musique industrielle de ces années n'est pas la célébration robotique de la machine toute-puissante ou la célébration de l'hyper-maîtrise technicienne qui n'est que son double inversé; au contraire, elle repose sur le détournement, le "braconnage" (*) aux frontières de la technique, elle est subversion du machinique, "invention du quotidien" (*), elle est aussi affirmation par le corps, par l'inscription sur le corps souvent, d'une totale confiance dans le pouvoir émancipateur pour les autres de sa propre autonomie. Sous cet angle, la trajectoire complexe de Genesis est d'une absolue rectitude et il suffit de relire aujourd'hui le Industrial Culture Handbook (ReSearch, 1983) pour s'en convaincre :

I'd like to be able to present whatever we do so that somebody with no training can get into it as easily as somebody with training. Quite often it is the people without training who get into it quicker. And often it is the people with training who are most antagonistic. And to do it without simplifying it, without taking any of its power away, so that you're not being patronizing--you're merely trying to take away the mystique and the vested interest in trying to sound like you've got to be special to understand this. It doesn't have to be a bastardized version to be understood by a lot of people. I'd like to try and find a form that treats everybody as being intelligent, at least potentially ... You assume initially that people want a bit more content, some project which has a lot more depth to it, and that the fact that everyone says "Oh, everyone just wants trivia and superficiality" isn't true. People are actually pleased to be given a bit more credit for a bit more intelligence. I think it's far better to make something on the assumption that people will work to understand it ...


(*) termes empruntés à Michel de Certeau, L'invention du quotidien, édition établie et présentée par Luce Giard, Gallimard, 1990



A Lady Jaye aussi, on pourrait dédier La mort rose ; simplement, à l'époque, ce fut Because I could not stop for Death (Emily Dickinson) :



Because I could not stop for Death-
He kindly stopped for me-
The Carriage held but just Ourselves-
And Immortality.

We slowly drove-He knew no haste
And I had put away
My labor and my leisure too,
For His Civility-

We passed the School, where Children strove
At Recess-in the Ring-
We passed the Fields of Gazing Grain-
We passed the Setting Sun-

Or rather-He passed Us-
The Dews drew quivering and chill-
For only Gossamer, my Gown-
My Tippet-only Tulle-

We paused before a House that seemed
A Swelling of the Ground-
The Roof was scarcely visible-
The Cornice-in the Ground-

Since then-'tis Centuries-and yet
Feels shorter than the Day
I first surmised the Horses' Heads
Were toward Eternity-




Puisque je ne pouvais m'arrêter pour la Mort —
Ce Gentleman eut la bonté de s'arrêter pour moi —
Dans la Voiture il n'y avait que Nous —
Et l'Immortalité.

Nous roulions lentement — Il n'était pas pressé
Et j'avais mis de côté
Mon labeur ainsi que mon loisir,
En réponse à Sa Civilité —

Nous passâmes l'École, où les Enfants s'efforçaient
De faire la Ronde — à la Récréation —
Nous passâmes les Champs d'Épis qui nous dévisageaient —
Nous passâmes le Soleil Couchant —

Ou plutôt — c'est Lui qui Nous dépassa —
Les Rosées tombèrent frissonnantes et Froides —
Car ma Robe n'était que de Gaze —
Mon Étole — de Tulle —

Nous fîmes halte devant une Maison qui semblait
Un Gonflement du Sol —
Le Toit était à peine visible —
La Corniche — Enterrée —

Depuis — ça fait des Siècles — et pourtant
Cela paraît plus court que le Jour
Où je me suis doutée que la Tête des Chevaux
Était tournée vers l'Éternité —

in Emily Dickinson, Poésies complètes,
édition bilingue,
traduction de Françoise Delphy,
Flammarion



C'est peut-être en partie cela vieillir ; éprouver (et non simplement concevoir, avec Auguste Comte) qu'il y a plus de morts que de vivants et ce sont les morts qui dirigent les vivants.