Des trois grandes voix fondatrices de la "négritude", celle de Damas reste celle qui ne passe pas ; Damas, Césaire, Senghor partagent une histoire commune dans l'entre-deux guerres et la guerre mais l'après-guerre les sépare : Senghor et Césaire trouvent (symétriquement) leurs places dans le petit théâtre politico-littéraire hexagonal, sans que cela affecte d'ailleurs leur puissance poétique (au contraire, cet ancrage les rend "lisibles"), l'un douillettement lové à l'ombre de Mongénéral, l'autre inconfortablement tapi aux marges du Parti, sous l'ombre de Breton. Damas, lui, a choisi Desnos, la liberté et la révolte nues : on le calomniera faute de pouvoir l'oublier. C'est une autre voix, sèche et tendre tour à tour, plus enracinée dans une histoire personnelle douloureuse, que Damas donne à entendre. D'autres rythmes aussi, d'autres références, comme celles liées à la Harlem Renaissance dont Damas fréquenta les visiteurs parisiens dans les années trente.
BLACK-LABEL A BOIRE
pour ne pas changer
Black-Label à boire
à quoi bon changer
Quatre vers qui reviennent comme un refrain, un précipité de sens que ce long poème (un extrait ici) déroule un à un, de l'intime au politique, à égale distance des perfections grammairiennes et des pyrotechnies miraculeuses, une voix ...
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous.
Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? Ne l'entendez-vous pas ?
Elle dit "La peine sera de courte durée"
Elle dit "La belle saison est proche."
Ne l'entendez-vous pas ?
(La voix, Robert Desnos, in Contrée (1936-1940))
L'extrait disponible en ligne indiqué plus haut explore la veine politique ; le poème débute dans le registre intime :
Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.
Black-Label était sorti en 1956 chez Gallimard. Depuis longtemps indisponible, il ressort dans la collection Poésie / Gallimard depuis fin septembre 2011 (avec une notice très utile de Sandrine Poujols) . Il était temps, non ?