lundi 7 novembre 2011

Abus de confiance -- Jean Tardieu


J'habite ici une maison en tous points semblable à la mienne : disposition des pièces, odeur du vestibule, meubles, lumière oblique le matin, atténuée à midi, sournoise le soir - tout est pareil, même les allées et les arbres du jardin et cette ancienne porte à demi démolie et les pavés de la cour.

Les heures aussi et les minutes du temps qui passe sont semblables aux heures et aux minutes de ma vie. Au moment où elles tournent autour de moi : "Comme elles ont l'air vrai, me dis-je. Comme elles ressemblent aux véritables heures que je vis en ce moment !"

Quant à moi, bien que j'ai écarté de ma maison toute surface réfléchissante, si cependant l'inévitable vitre d'une fenêtre s'obstine à me renvoyer mon reflet, je vois bien là quelqu'un qui me ressemble. Oui, qui me ressemble beaucoup, j'en conviens !...

Mais, que l'on aille pas prétendre que c'est moi ! Allons donc ! Tout est faux, ici. Quand on m'aura rendu ma maison et ma vie - alors je retrouverai mon vrai visage.