Excellente introduction à l'œuvre de Zygmunt Bauman que ce bref livre d'entretien avec Benedetto Vecchi (rédacteur en chef de Il Manifesto). La description qu'il y donne de l'état du monde est remarquablement lucide. On a pu lui reprocher de ne pas apporter grand-chose de nouveau : la "post-modernité" nous ayant enterrés sous un amas conceptuel informe autant qu'improbable, fait de tout et de son contraire, c'est moins la nouveauté qui fait la valeur d'une description du monde que la mise en perspective et l'articulation de différentes facettes (souvent précédemment décrites).
Bauman est un maître dans cet exercice.
Il rappelle que l' "identité nationale" fut une construction volontariste et contraignante venue se superposer aux identités locales qui n'étaient pas contraignantes en tant que telles, l'enracinement local étant perçu comme une donnée "naturelle" plus que comme une contrainte : la mobilité des individus est une chose nouvelle à l'échelle des mentalités collectives et, au début du XIXéme, il fallait à peu près le même temps pour aller de Paris à Rome que sous l'empire romain. L'exemple des "autochtones" du recensement polonais d'avant la seconde guerre mondiale en donne une illustration : il fallut créer cette catégorie pour ceux qui étaient incapables de se situer en termes de "nationalité". Histoire drôlatique qui nous rappelle qu'un temps fut, les frontières pouvaient se mouvoir sans entrainer les peuples avec elles et, la paix revenue, sans les inquiéter outre mesure.
Cette contrainte qu'impose l'Etat-nation, cette ligne de séparation entre eux et nous, ligne dont il nous est demandé de donner quotidiennement des gages de respect (cette fameuse "identité nationale"), n'a de sens que si cette ligne de partage a des vertus protectrices. Ces vertus se sont simplement évaporées avec le renoncement de l'Etat à sa mission économique au profit des marchés internationaux et le "couple Etat-nation a perdu de son ardeur et se dirige, lentement mais sûrement, vers une séparation de corps."
Il assume sans hésiter la totalité de son parcours et rappelle sèchement que pour ne pas être de simples fétiches, les divers attributs de la "république" qui font aujourd'hui tant couler d'encre ne peuvent pas être dissociés des conditions matérielles de leur emploi, que le délitement de l'État-social est d'abord le résultat d'un choix volontaire et conscient d'une "majorité satisfaite" (reprenant ici le terme et l'analyse de Kenneth Galbraith), et non d'une minorité privilégiée, de réduire la solidarité à des prestations à la fois insuffisantes et stigmatisantes et, enfin, que le problème de l'identité aujourd'hui est moins l'auto-définition et la stratégie individuelle que la différence (totalement refoulée par la majorité satisfaite) entre ceux pour qui, en effet, l'identité est un problème de choix et ceux pour qui l'identité est une contrainte imposée.
Quand il aborde ces sujets, Bauman, qui s'exprime toujours avec beaucoup de calme voire de douceur, est d'une noirceur assez rare :
Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.
(entretien avec Benedetto Vecchi traduit par Myriam Dennehy; Carnets de l'Herne, 2010)
En introduction à cette introduction, on peut aussi lire cette interview à Rzeczpospolita (traduite en anglais) The unwinnable war.
En introduction à cette introduction, on peut aussi lire cette interview à Rzeczpospolita (traduite en anglais) The unwinnable war.
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