Une perle de la discographie hat ART ! Sortie en 1987 (hat ART 2035), apparemment pas ré-éditée depuis.
Pourtant, "Facile pour Cécile" est une des pièces de Jacques Diennet que je préfère. Inoubliable, la voix de Martine Pisani qui avance comme à tâtons dans le texte de Christian Tarting :
C'était, oui, exactement comme une petite lueur cette manière d'avancer, une timidité qui se rangeait derrière ses bras bien serrés puisque la nuit depuis longtemps était là, qu'il fallait se taire, ne réveiller personne, marcher lentement telle une sorte d'illumination fragile de ses propres paroles,
des mots rentrés qu'elle se répétait dans la tête, chantés psalmodiés, rien ne valant une comptine pour écarter la peur.
Rengaine fragile, des bouts du monde, d'une autre couleur, de ces gestes toujours un peu étonnants dans leur ampleur et leur acidité ; on y revenait, les polissait,
lentement dans la tête, on s'en moquait gentiment dans le fil de la ritournelle, les répétitions appuyées, les tendres variations des accents et cette certitude de ne jamais leur appartenir, de savoir toujours mettre son corps légèrement de côté, ou le replier sur lui-même,
on aimait bien ça oui, pensait qu'on pouvait s'y réfugier comme dans une coquille, le corps dans le corps, un miroir infiniment multiplié qui renverrait à l'envi l'écho des rengaines, les mots en lettres rouges contre la glace, les mots que l'on aurait suffisamment triturés pour que la peur s'efface.
Aujourd'hui, dans ces moments où l'aujourd'hui n'est plus vraiment là pour vous rassurer, bascule dans quelque chose d'encore inconnu, où la chambre est presque inquiétante tout à coup, dans un silence qu'il ne faut pas rompre, une nappe froide qui renverse tout, porte le regard vers une autre tonalité, avec le goût provocant de la curiosité,
-- c'était juste avant, on n'avait pas encore quitté le lit et l'idée de ce silence comme un ordre à respecter, ce n'était certainement pas ce qui pouvait vous convaincre de vous rendormir, vous replonger dans ce cocon que vous n'aviez pas choisi, qu'on essayait bien trop tôt dans la soirée de vous faire passer pour le meilleur des mondes --,
aujourd'hui on avait fait les premiers pas, étouffé les menus regrets qui pouvaient déborder les draps, on avait tâtonné devant soi pour déchirer les premières obscurités, se moquant prestement de ce qui revenait, les conseils les paroles doucereuses et ce qui s'y cachait, de ce que l'on comprenait parfaitement, cette fine perversion de l'ordre derrière le sourire.
On avance un peu et poser doucement le pied, attention farouche, cœur emballé, c'est se trouver, visage au coin de l'ombre.
A ce moment, vous pourriez même en venir à un début de mémoire, souvenirs de bruits dans un petit corps, où aller où ne pas se poser, vous êtes cette douce infiltration qui soupire,
mord le calme parlant pour un calme sans lourdeur, sans la terreur du sommeil.
Tout ceci, tout ceci serait facile, se dit-elle. Grandir c'est en quelque sorte ne jamais quitter son lit -- sans qu'on vous y invite, en tous cas. Et cette tristesse de grandir finit toujours dans des lits plus ou moins blancs, des chambres plus ou moins bien tenues.
Tout ceci serait facile, et en échange d'un sourire consentant, d'une grâce lancée à point nommé, on pourrait ouvrir chaque nuit la scène du couloir, nouer les complicités décisives.
Elle franchit donc cet espace, lisse le non-dit, son souffle est une mince vitre qui se casse, tous les bouts de respiration picotant la peau comme le danger même, ou le désir.
Le mur dans sa tête réfléchirait des images multi-colores ; il suffirait de fermer les yeux à peine plus et délicieusement se perdre dans le noir délicat que les doigts hésitent à prononcer contre le mur, l'épaisseur amicale des meubles.
Ormai non lascerò più la notte stringermi : ce début de monde, le coup de cœur de la porte entrebâillée, je ne pourrai l'oublier. Cette nuit, rêveuse définitive, je suis petite pour toujours.
Autour de Martine Pisani, Gérard Siracusa au marimba, Danièle Robert au piano et Jacques Diennet au synclavier II ; quinze minutes d'émotion pure dédiées à Raymond Queneau et Jon Appleton (un des "pères" du synclavier).
(texte de Christian Tarting publié aux éditions Lettre de casse, 1986)
Pourtant, "Facile pour Cécile" est une des pièces de Jacques Diennet que je préfère. Inoubliable, la voix de Martine Pisani qui avance comme à tâtons dans le texte de Christian Tarting :
C'était, oui, exactement comme une petite lueur cette manière d'avancer, une timidité qui se rangeait derrière ses bras bien serrés puisque la nuit depuis longtemps était là, qu'il fallait se taire, ne réveiller personne, marcher lentement telle une sorte d'illumination fragile de ses propres paroles,
des mots rentrés qu'elle se répétait dans la tête, chantés psalmodiés, rien ne valant une comptine pour écarter la peur.
Rengaine fragile, des bouts du monde, d'une autre couleur, de ces gestes toujours un peu étonnants dans leur ampleur et leur acidité ; on y revenait, les polissait,
lentement dans la tête, on s'en moquait gentiment dans le fil de la ritournelle, les répétitions appuyées, les tendres variations des accents et cette certitude de ne jamais leur appartenir, de savoir toujours mettre son corps légèrement de côté, ou le replier sur lui-même,
on aimait bien ça oui, pensait qu'on pouvait s'y réfugier comme dans une coquille, le corps dans le corps, un miroir infiniment multiplié qui renverrait à l'envi l'écho des rengaines, les mots en lettres rouges contre la glace, les mots que l'on aurait suffisamment triturés pour que la peur s'efface.
Aujourd'hui, dans ces moments où l'aujourd'hui n'est plus vraiment là pour vous rassurer, bascule dans quelque chose d'encore inconnu, où la chambre est presque inquiétante tout à coup, dans un silence qu'il ne faut pas rompre, une nappe froide qui renverse tout, porte le regard vers une autre tonalité, avec le goût provocant de la curiosité,
-- c'était juste avant, on n'avait pas encore quitté le lit et l'idée de ce silence comme un ordre à respecter, ce n'était certainement pas ce qui pouvait vous convaincre de vous rendormir, vous replonger dans ce cocon que vous n'aviez pas choisi, qu'on essayait bien trop tôt dans la soirée de vous faire passer pour le meilleur des mondes --,
aujourd'hui on avait fait les premiers pas, étouffé les menus regrets qui pouvaient déborder les draps, on avait tâtonné devant soi pour déchirer les premières obscurités, se moquant prestement de ce qui revenait, les conseils les paroles doucereuses et ce qui s'y cachait, de ce que l'on comprenait parfaitement, cette fine perversion de l'ordre derrière le sourire.
On avance un peu et poser doucement le pied, attention farouche, cœur emballé, c'est se trouver, visage au coin de l'ombre.
A ce moment, vous pourriez même en venir à un début de mémoire, souvenirs de bruits dans un petit corps, où aller où ne pas se poser, vous êtes cette douce infiltration qui soupire,
mord le calme parlant pour un calme sans lourdeur, sans la terreur du sommeil.
Tout ceci, tout ceci serait facile, se dit-elle. Grandir c'est en quelque sorte ne jamais quitter son lit -- sans qu'on vous y invite, en tous cas. Et cette tristesse de grandir finit toujours dans des lits plus ou moins blancs, des chambres plus ou moins bien tenues.
Tout ceci serait facile, et en échange d'un sourire consentant, d'une grâce lancée à point nommé, on pourrait ouvrir chaque nuit la scène du couloir, nouer les complicités décisives.
Elle franchit donc cet espace, lisse le non-dit, son souffle est une mince vitre qui se casse, tous les bouts de respiration picotant la peau comme le danger même, ou le désir.
Le mur dans sa tête réfléchirait des images multi-colores ; il suffirait de fermer les yeux à peine plus et délicieusement se perdre dans le noir délicat que les doigts hésitent à prononcer contre le mur, l'épaisseur amicale des meubles.
Ormai non lascerò più la notte stringermi : ce début de monde, le coup de cœur de la porte entrebâillée, je ne pourrai l'oublier. Cette nuit, rêveuse définitive, je suis petite pour toujours.
Autour de Martine Pisani, Gérard Siracusa au marimba, Danièle Robert au piano et Jacques Diennet au synclavier II ; quinze minutes d'émotion pure dédiées à Raymond Queneau et Jon Appleton (un des "pères" du synclavier).
(texte de Christian Tarting publié aux éditions Lettre de casse, 1986)
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