lundi 8 mars 2010

André Gorz et la dynamique du capitalisme -- Carlo Vercellone


Cette conférence constitue une des plus concises introductions à la pensée d'André Gorz que je connaisse ; concise et mettant remarquablement en relief l'évolution d'une pensée sur un demi-siècle :

"(...) la force de travail, l'intellectualité diffuse ne peuvent être considérées, par définition, comme un actif négociable d'une entreprise (contrairement à une machine ou à un brevet, excepté si l'on réduisait la force de travail en esclavage). L'évaluation du capital intellectuel et/ou immatériel ne peut donc être que l'expression complètement subjective de l'anticipation des profits futurs effectuée par les marchés financiers sur la base d'une logique auto-référentielle destinée inéluctablement, tôt ou tard, à éclater, "en menaçant le système mondial de crédit d'effondrement, l'économie réelle d'une dépression sévère et prolongée [...]" (*). Cette logique contribue à expliquer pourquoi la finance joue un rôle clé dans le capitalisme cognitif. Mais elle contribue aussi à expliquer pourquoi la succession de crises financières et économiques de plus en plus graves auxquelles nous assistons n'est pas le simple produit d'une mauvaise régulation de la finance. Au contraire, comme l'a souligné avec force Gorz, cette dynamique exprime "tout simplement la difficulté intrinsèque à faire fonctionner le capital intangible comme un capital, à faire fonctionner le capitalisme dit cognitif comme un capitalisme" (+). Il nous livre ainsi une interprétation qui éclaire l'origine, le sens et les enjeux de la crise économique et financière actuelle."

(*) Gorz, Ecologica p.28, éd. Galilée, Paris, 2008
(+) Gorz, L'immatériel : connaissance, valeur et capital p.55, éd. Galilée, Paris, 2003



Le texte complet de cette conférence est disponible ci-dessous :
(il vous en coûtera 5€ ... mais le texte est soigneusement édité)


Une mise en perspective utile pour aborder une des dernières contributions de Groz, Penser l'exode de la société du travail et de la marchandise, publiée en 2007 par Mouvements ; un examen critique de la notion de revenu social garanti qui reprend l'éternelle discussion des poor laws (*) à partir des difficultés d'un capitalisme "automatisé à mort" qui produit sans employer, donc sans distribuer de moyens de paiement :

(*) voir à ce sujet les travaux de T.C. Leonard, The Very Idea of Applying Economics : The Modern Minimum-Wage Controversy and Its Antecedents et More merciful and not less effective, en particulier, et La grande transformation de Karl Polanyi (Gallimard).


"Ce capitalisme qui s'automatise à mort devra chercher à se survivre par une distribution de pouvoir d'achat qui ne correspond pas à la valeur d'un travail.
(...)
Le modèle distributiste a sans doute le grand mérite de rompre avec le marché, de mettre en évidence le caractère anachronique de la forme valeur, c’est-à-dire de la forme argent, de la forme marchandises, donc du capitalisme ; mais il en conserve les apparences et, surtout, le fondement principal : la division capitaliste du travail, la division entre consommateurs et producteurs, les rapports sociaux marchands d’achat et de vente. Il s’agit là d’une forme de « capitalisme mort-vivant » dont la valorisation du capital ne peut plus être le but mais qui, en préservant formellement la forme marchandise des richesses produites et le besoin d’argent pour y accéder, préserve un aspect essentiel des rapports de domination capitalistes.

Ceux-ci subsistent dans la mesure où l’allocation d’un revenu individuel fait obstacle au développement de réseaux coopératifs d’autoproduction, à l’appropriation par des collectifs auto-organisés de moyens de production soustraits à la division capitaliste du travail et utilisables pour satisfaire une part croissante des besoins et désirs de tous. L’idée que, après son extinction, le capital doit pouvoir conserver son système de domination en conservant aux biens la forme marchandise et à leur mise à disposition la forme de la vente, cette idée chemine souterrainement depuis des décennies. Elle considère la consommation de marchandises comme un travail qui mérite d’être rémunéré en tant qu’il maintient l’« ordre marchand », l’ordre dans lequel les individus se produisent eux-mêmes tels que les puissances dominantes désirent qu’ils soient. « Les marchandises y achètent leurs consommateurs afin que ceux-ci se fassent, par l’activité de consommer, ce que la société a besoin qu’ils soient. » (*)

Les moyens sur lesquels le capitalisme avait fondé sa domination – l’argent, le marché, le rapport salarial, la division sociale du travail – lui survivent comme des formes vides. Ce n’est plus la mise en valeur de la valeur, c’est le pouvoir de dominer qui devient le but de la production."

(*) André GORZ, Les chemins du paradis p.83, éd.Galilée, 1983

Aucun commentaire: