samedi 20 mars 2010

Du rouge aux lèvres -- Haïjins japonaises


Haïkus au féminin, traduits et présentés par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku (Points ; 2010).

On connaît les grandes classiques Chigetsu Kawaï

Un vent sec et froid
sans couleurs à souffler
sans feuilles à disperser

ou Chiyo-ni (voir en particulier Bonzesse au jardin nu, Moundarren 2005)

L'eau les dessine,
puis l'eau les efface,
les iris.


Cette anthologie permet de découvrir les voix de contemporaines :

L'impression d'être
poussée par derrière ...
Chant des cigales d'automne.
(Kanajo Hasegawa)

Hortensias.
La lettre arrivée hier,
Déjà vieille.
(Takako Hashimoto)

Un escargot est mort.
Beaucoup de rêves
ne sont pas dénoués.
(Takajo Mitsuhashi)

Je ne naîtrai jamais
à nouveau dans ce monde.
Voie lactée, l'hiver.
(Ayako Hosomi)

Je comprends
qu'une fleur tombe,
en tombant malade.
(Toshiko Tonomura)

Roses d'hiver ...
Dans mes paumes,
tout mon destin.
(Setsuko Nozawa)

Il neige ...
Je crois discerner des rides noires
au fond de l'eau.
(Nanako Wasitani)

Épais brouillard --
Je me couche en embrassant mon sein,
ôté demain.
(Mariko Koga)

Pelant un kaki,
je continue d'approcher le canif
de mon corps.
(Kazué Asakura)

Douce journée.
Un de nous deux
sera seul un jour.
(Momoko Kuroda)

Nuit de fleurs de cerisier :
un petit peu de mensonge
dans la réponse.
(Madoka Mayuzumi)


L'idée de cette anthologie au féminin m'a paru étrange de prime abord tant la question du genre me semblait étrangère au haïku ; pourtant, et la lecture de ces poèmes le confirme, si le haïku n'a pas de sexe, il pourrait bien avoir un genre : ce qui frappe à la lecture, et qu'on ne retrouve pas dans les anthologies "habituelles", fussent-elles mixtes (Haïku-Anthologie du poème court japonais, traduit et présenté par Corrine Atlan et Zéno Bianu, Poésie/Gallimard 2002, par exemple, qui ne compte, et c'est inévitable pour une anthologie qui démarre au XVème siècle, qu'une quinzaine de femmes sur environ cent cinquante auteurs), c'est l'atmosphère douce-amère qui y règne, atmosphère que les auteures choisissent délibérément de laisser planer dans leurs poèmes, là où la tradition ("masculine", forcément masculine ...) choisit souvent le camouflage, que ce soit par l'ironie et la pirouette ou par la sublimation et l'allusion aux "Classiques" ou à l'illumination.




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