mercredi 22 septembre 2010

Faulkner, Mississippi -- Edouard Glissant


Certains (et des plus perspicaces) proposent ce livre comme introduction à l'œuvre d'Édouard Glissant. Pour moi, c'est et cela restera La Lézarde ; on ne revient pas sur un tel éblouissement. C'est "mon" point d'entrée dans le Tout-Monde, que je partage bien sûr avec beaucoup d'autres, ce qui ne le rend que plus précieux.
Amusant, quelque chose que l'on ressent comme d'autant plus précieux qu'il est plus largement partagé, non ?





William Faulkner à Nagano (1950)
Photo de Jamidei Nahamia
(source)



Faulkner, Mississippi est en quelque sorte à l'autre bout du Tout-Monde, très loin des gouffres et détroits qui sillonnent les Antilles, confiné dans ce "timbre-poste" (un terme qu'emploie Glissant dans Philosophie de la Relation) du Mississippi dont Faulkner déroule l'épopée.
Évidemment, le lien avec
La Lézarde est aussi ce qui sépare ; si lien il y a, ténu apparemment, c'est l'Atlantique abyssal, celui de la Traite, mais, dans le Tout-Monde, un lien si ténu soit-il se révèle indestructible : par ce seul lien, tout communique et Faulkner, Mississippi est à la fois un merveilleux compagnon critique dans la lecture de Faulkner et un éclairage particulier, un "angle"singulier pour la lecture de l'œuvre de Glissant. Aucun doute, la Lézarde et le Mississippi se jettent l'un dans l'autre, au mépris de la géographie élémentaire !

Un livre toutefois difficile à aborder, me semble-t-il, pour qui n'a rien lu de Faulkner. Encore puis-je ici me tromper lourdement : après tout, la passion de Glissant pour Faulkner transparaît dès les premières pages et est si communicative qu'il est sans doute impossible de commencer Faulkner, Mississippi sans aller lire Faulkner !




Edouard Glissant (2009)
photo extraite du documentaire
Édouard Glissant : un monde en relation
Manthia Diawara (2010)




D'un déclic, je commence. On dévire autour de cette matière (l'œuvre de Faulkner) qu'on devine, qui s'étend comme une musique "ni près ni loin", on ne prétend pas savoir comment y venir, on suppute pourtant qu'elle est à portée, on accumule les journées de songerie et les veilles sourcilleuses.


Le déclic : au détour d'une note ou en fin d'une nouvelle ou au plein d'un des dialogues d'un roman, l'œuvre se met debout autour de vous, c'est-à-dire, ses paysages, ses crépuscules, ses couleurs (ou le mauve et le fauve dominent), ses odeurs surtout, de buée ou de fumée se levant sur une campagne encore invisible, sur ses bêtes folles et acharnées, sa troupe d'humains qui partagent, sans qu'aucun s'en doute, le même égarement -- l'œuvre entière comme d'un architecte qui eût massé tout un monument autour d'un secret à connaître, mais en l'indiquant et le dérobant tout ensemble.

Indiquer ou dérober un secret ou une connaissance, c'est-à-dire en différer le relèvement, sera une grande part du projet de Faulkner et ce sera le motif, pour l'essentiel, des modes techniques autour desquels s'organisera son écriture.


Admirez comment, de ce "ni près ni loin", Édouard Glissant fait surgir un ample mouvement d'analyse qui va des considérations les plus générales qui traversent l'ensemble de son œuvre à la micro-physique des textes de Faulkner et comment, surtout, ce mouvement reste toujours infiniment respectueux de ses deux extrémités, ne plaquant jamais l'une sur l'autre mais les enrichissant mutuellement par résonance.










Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


(paru en 1996 (Stock), disponible en Folio Essais)