dimanche 5 septembre 2010

Les années 20 -- Varlam Chalamov (1907-1982)



Un petit livre qui permet d'approcher la personnalité de l'auteur des Récits de la Kolyma (un des seuls livres que je connaisse qui fassent sentir l'abîme entre vivre et ne pas mourir ; traduit en français par Catherine Fournier chez Maspero en 1980, soit seulement deux ans après sa parution en russe, à Londres, puis dans une nouvelle édition, complète cette fois, par Catherine Fournier, Sophie Benech et Luba Jurgenson chez Verdier en 2003) : dans les années 60, Chalamov revient sur l'atmosphère du Moscou des années 20 ; sans ordre particulier, les souvenirs se succèdent avec une fraicheur stupéfiante.

Le livre est composé de deux parties, une première faite de courts tableaux (dont l'un, Le temps des incendies, est à placer au rang des Récits), la seconde de souvenirs qui s'enchainent, traçant un portrait saisissant du bouillonnement intellectuel de l'époque et de sa destruction.



Chalamov
(et son chat Mukhta
; années 60)
(source)


Chalamov était connu pour ses avis peu tendres à l'égard de bien des écrivains russes qui furent ses contemporains. Son jugement sur Maïakovski n'en est que plus intéressant, aussi loin que possible de l'hagiographie lénifiante mais sachant distinguer, derrière le masque de celui qui proclamait qu'être poète était un métier, celui pour qui la poésie était un destin.


Ce livre est également l'occasion de constater que Chalamov ne reniait en rien sa jeunesse engagée à la gauche des bolcheviks.



Depuis ma plus tendre enfance et peut-être dès avant ma naissance, ma vie a toujours été partagée entre deux choses. La première état la littérature, l'art : j'avais l'intime conviction d'avoir mon mot à dire en littérature, en prose, en poésie aux côtés des plus grands de chez nous, que c'était là mon destin. La seconde chose importante était de prendre part aux luttes sociales de mon temps, qu'il m'était impossible d'ignorer. Conformément à la devise que je m'étais fixée -- accorder les paroles aux actes -- je voulais le faire du plus profond, en partant de la base la plus obscure, sans mépriser le rôle de quiconque,qu'il fût postier ou docker.

Et que la solitude était une force, cela je le sentais depuis longtemps.

(...)

Toute ma vie s'est résumée à honorer deux divinités, celle du devoir et celle de la prophétie, que la poésie peut difficilement éviter, et cela quelle que soit la répulsion que j'éprouve à l'égard de toute forme d'apostolat.


Celui qui parle ainsi, en 1962, a 55 ans et a passé 15 ans dans la Kolyma (de 1937 à 1951).


A placer à côté du livre de Roman Jakobson,
La génération qui a gaspillé ses poètes.

(ouvrage disponible (?) aux éditions Verdier ; traduit par Christiane Loré avec la collaboration de Nathalie Pighetti-Harrison)