lundi 2 août 2010

La démocratie comme procédure et comme régime -- Cornelius Castoriadis


Le dernier texte de La montée de l'insignifiance (Les Carrefours du Labyrinthe IV) qui peut servir d'introduction à la pensée de la démocratie chez Castoriadis. Relu en lien avec les Essais hérétiques de Patočka, pour y retrouver l'accent mis sur l'éducation : le citoyen d'une démocratie, pour Aristote, est celui qui est "capable de gouverner et d'être gouverné", une double capacité que seule l'éducation (paideia) peut faire naître et consolider.

"Supposons même qu'une démocratie, aussi complète, parfaite, etc., que l'on voudra, nous tombe du ciel : cette démocratie ne pourra pas continuer plus que quelques années si elle n'engendre pas des individus qui lui correspondent, et qui sont, d'abord et avant tout, capables de la faire fonctionner et de la reproduire."

En passant, on notera que le libéralisme économique produit précisément l'inverse : reposant sur des archétypes comme le marchand honnête, le chevalier d'industrie etc., son fonctionnement engendre mécaniquement des types opposés ; l'honnêteté, ce n'est pas la peur du gendarme et il y a là souvent confusion !
Quant à ceux qui s'en viennent gravement proposer de "moraliser le capitalisme", ils ne font la preuve au choix que de leur duplicité ou de leur bêtise. Inutile de parler de morale quand on ne peut même plus observer la plus élémentaire reconnaissance du ventre (on ne parle pas ici de sentiment de responsabilité).














Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.



En passant aussi, on relèvera dans ce texte un autre parallèle avec Patočka dans la critique de la Geworfenheit de Heidegger qui ignore le caractère nécessairement social du monde dans lequel nous sommes jetés (caractère socialement limité de notre ouverture au monde chez Patočka, en essayant d'être plus précis : il n'y a pas d'accès à un Lebenswelt universel mais à un (des) monde(s) historique(s) construit(s) par les traditions qui tous représentent pour ceux qui y baignent, et pour eux seulement, "un" Lebenswelt parmi une cohorte d'autres, également possibles mais inaccessibles).

Le ton du dernier paragraphe, rappelle aussi celui du dernier chapitre des Essais hérétiques (Gloses) :

"Cela dit, on voit aussi ce qui constitue l'élément de notre être : l'être de l'homme, c'est l'être d'un possible. (...) Et comme nous voilà parvenus à cet être dans des possibles, comme l'une des deux possibilités fondamentales se révèle la possibilité de se libérer de l'enchainement à la vie, de lier au contraire la vie à quelque chose de libre, capable d'assumer la responsabilité et de respecter la responsabilité, c'est-à-dire la liberté des autres, ne faudra-t-il pas nécessairement expliquer l'histoire précisément, c'est-à-dire l'accomplissement le plus propre de l'homme, à partir de cette dimension de son être -- plutôt que de la conscience. (...) Qu'est-ce que l'être social de l'homme ? Sans offrir de réponse positive à cette question, peut-être ces quelques remarques suffisent-elles à montrer qu'il est ancré en une profondeur par rapport à laquelle le critère des rapports et conditions économiques n'est ni exhaustif ni même entièrement adéquat. Vouloir le réduire à ces rapports et conditions, c'est aussi une manière de subjectivisme, à la fois théorique et pratique."