vendredi 13 août 2010

En passant ...




La Nature venait-elle compléter les progrès de l'homme ? Parachever ce qu'il avait commencé ? Avec la même indifférence satisfaite, elle voyait sa détresse, excusait sa bassesse, acquiesçait à son calvaire. Ce rêve de partage, d'achèvement, de découverte d'une réponse -- dans la solitude de la plage -- n'était donc qu'un reflet dans un miroir et ce miroir lui-même, que la surface vitreuse qui se forme dans la quiétude quand dorment dans les profondeurs les nobles facultés ? En proie à l'impatience, au désespoir et cependant répugnant à partir (car la beauté offre ses leurres et ses consolations), arpenter la plage était devenu impossible ; intolérable, sa contemplation : le miroir était brisé.

(Ce printemps-là, Mr Carmichael publia un volume de poèmes qui eut un succès inespéré. La guerre, disait-on, avait fait revivre l'intérêt pour la poésie.)

(Virginia Woolf, Vers le Phare)

Quelle meilleure description de l'échec d'une tentative d'accès au "monde des choses" : être devant le miroir et non pas être le miroir.

A rapprocher de Patočka aussi, bien sûr, pour ce que c'est l'épreuve de la première guerre mondiale qui amène à cette expérience ; épreuve qui, sans être celle du front comme la décrivent Jünger ou Teilhard, est aussi celle de la présence de la mort non comme limite mais comme étendue.

Et le chapitre suivant, cette description hallucinée de la prolifération des choses, de leur pouvoir d'exister sans nous, quand nous ne sommes pas là, se termine justement par ce mot "terrible" ; il faut apprivoiser les choses pour les laisser venir à nous et pour pouvoir, littéralement, nous, être au monde : le Pluchkine que dévoile Toporov le savait, lui.


C'est de cette capacité à être que la valeur d'échange nous sépare et cette séparation se redouble encore quand le spectacle de l'échange se replie sur l'échange lui-même; en passant par Adorno, Anders ou de Bodinat, nous voila revenus à Tchouang-Tseu et au meurtre de Chaos !