Le 24 avril 1967, s'écrasait la capsule Soyouz ramenant Vladimir Komarov. Le lendemain, Nadia Tuéni lui rendait ainsi hommage dans le quotidien Le Jour :
L'Horloge à 4 heures 10 est morte, Komarov. Au beffroi des étoiles il est toujours 4 heures.
L'oiseau venait de terre. C'était un oiseau-pluie et quand le ciel se casse, il fait beau sur la mer à cause des solitudes. Je te l'avais bien dit, le soleil est si proche qu'un coup de langue peut le mouiller !
Tu es vieux, Komarov, plus vieux que crépuscule. Tu as l'âge du rêve ancien, des corps-à-corps stellaires, et des vents qui reviennent clamer les droits du ciel. Tu as l'âge inquiétant, cet âge arithmétique qui glisse sur rail de bleu, vers toujours les mêmes songes pris de torticolis. La main qui te protège ne peut être qu'éteinte loin des nuits et des jours et des visages construits autour du ciel qui brûle tout au fond de tes yeux. Un univers liquide. Au lieu d'une Atlantide, la mort qui est retour à la simplicité.
C'est le temps de l'homme indéfini. Un temps de pause entre la terre étroite et l'espace oublié. Ne te retourne pas ! Les soleils de Gomorrhe ne sont que le danger de tous les souvenirs.
Pourquoi es-tu parti avec tous ceux qui passent et le temps où les mages n'étaient que chameliers ?
Que le ciel soit très bleu envers et contre toi ! La ville a grelotté parce que tu te rendors. Toutes les étoiles se ressemblent ; rien n'est plus différent d'un homme qu'un autre homme, et pour toi, Komarov, des lunes incolores, et l'horrible mesure des grandes découvertes !
(in Nadia Tuéni, Œuvres Complètes, La Prose, Dar-an-Nahar, Beyrouth 1986)